Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/218

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paroles de Mlle Bertin), elle est toute courroucée que l’auteur, une demoiselle pourtant ! n’ait pas respecté la tradition. « J’irai ce soir avec mes enfans et mes petits-enfans voir un nouvel opéra, le Jugement de Pâris. Je ne l’ai pas encore vu, mais je l’ai lu. On a craint de faire de Ménélas un « mari trompé » (Madame met le mot cru) ; dans la pièce, Hélène n’est pas encore mariée quand Pâris tombe amoureux d’elle. Je ne peux pas souffrir que l’on change ainsi la fable. »

Madame était, comme dit Sainte-Beuve, à cheval sur son rang de princesse. En effet, elle revient souvent dans ses lettres sur ses prérogatives de fille de France. Lors de la cérémonie de Chelles, elle explique longuement à sa sœur que les princes du sang n’ont pas le droit de s’agenouiller sur son drap de pied. Ce droit n’appartient qu’aux petits-enfans de France, à son fils et à sa fille. Cependant, dit-elle, les cérémonies l’ennuient, et les personnes cérémonieuses aussi, et de tout temps elle a été dans ces idées, car lorsqu’en 1717 Pierre le Grand lui rend visite, elle mande à sa sœur en date du 14 mai : « Quelqu’un de grand m’a fait visite aujourd’hui, je veux dire mon héros, le tsar. Je le trouve fort bien, ce que de notre temps nous appelions « bien. » Nous entendions par là une personne qui fût sans affectation, sans façon. »

Cette visite du tsar fut le dernier grand événement de sa vie. Madame mourut dans son cher Saint-Cloud le 8 décembre 1722. Elle ne fut pas heureuse en France ; le regret de toute sa vie a été que son mariage, au lieu de porter bonheur à son pays natal, devînt pour lui une source des plus grands malheurs, la cause de sa ruine. La France aussi a porté et porte encore la peine de l’inique dévastation du Palatinat. La haine que les Allemands et surtout les Allemands du sud. nourrissent envers notre patrie ne date pas des guerres de l’empire, elle remonte à deux cents ans. Toutes les générations qui se sont succédé à la Ruperta Carolina d’Heidelberg ont contemplé la tour fendue et exécré le nom de Louvois et de son maître ; le canonnier badois qui lançait ses obus sur Strasbourg avait puisé dans les écrits populaires, à l’école, partout, non-seulement la haine de Napoléon, de Vandamme, de Davout, mais encore et surtout celle du grand roi, de son cruel et orgueilleux ministre et de Mélac « l’incendiaire. »


ERNEST JAEGLE.