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conditions les plus favorables, au milieu des témoignages de la bonne volonté universelle et d’une confiante sécurité.

Vous souvient-il de ce qu’un homme d’esprit, un grand sceptique, Mérimée, écrivait à une de ses correspondantes inconnues, en pleine exposition de 1867, au bruit des défilés pompeux des souverains et des fêtes officielles ? « Paris est aussi triste que possible, disait-il. Tout le monde a peur sans trop savoir pourquoi. C’est une sensation comme celle que fait éprouver la musique de Mozart lorsque le Commandeur va paraître… Il y a un malaise universel et on est nerveux. Le moindre événement est attendu comme une catastrophe. Enfin on est bête et ennuyé… » Et Mérimée, fort initié aux mystères de la cour impériale, de cette cour où venait de retentir le bruit de l’exécution de Maximilien au Mexique, où M. de Bismarck faisait déjà l’effet du « Commandeur, » prêt à paraître, Mérimée y revenait sans cesse : « Les affaires ne vont pas bien ; il y a beaucoup d’inquiétude sans qu’on se rende bien compte de quoi l’on a peur… » Voilà la misère sous la pompe asiatique et trompeuse du temps ! C’est justement la différence entre cette exposition de 1867, avant les catastrophes qu’on commençait à pressentir, qu’on préparait aveuglément, en les redoutant déjà, en ayant peur, — et cette honnête exposition de 1878, dont l’éclat n’a été que le prix d’un long effort pour réparer des désastres provoqués par d’autres. Cette fois il n’y avait en vérité ni peur, ni malaise nerveux, ni ennui de gens effarés. On s’est laissé aller tout bonnement au plaisir d’un grand succès national, parce qu’il n’y avait pas de remords des fautes commises. Pendant que l’exposition déployait ses merveilles, notre ministre des affaires étrangères était à Berlin travaillant à la paix de l’Europe, et il a été reçu avec estime parce qu’on savait qu’il ne portait au congrès aucune arrière-pensée, parce qu’on voyait en lui le représentant d’une nation dont la réserve n’est pas absolument de la faiblesse. Notre gouvernement a pu continuer sans effort son œuvre à l’intérieur, parce que le sentiment de l’ordre domine partout dans le pays, parce qu’on était bien décidé d’avance à respecter cette trêve qui pendant tout un été a fait encore une fois de Paris le rendez-vous de l’univers. C’est l’histoire de cette année 1878, qui, après avoir passé des orageuses incertitudes de ses débuts à l’éclat de l’exposition, a la fortune de finir dans un calme sensible, au milieu d’un mouvement électoral qui se poursuit presque sans bruit, sous les auspices de la paix des pouvoirs rétablie et d’un ministère qui n’est point évidemment étranger à cette œuvre de conciliation.

Que maintenant cette situation régularisée ne soit point à l’abri d’oscillations ou d’épreuves nouvelles, que les élections sénatoriales du 5 janvier soient attendues comme un signal de crises possibles, que les idées extrêmes et les passions de partis épient les occasions favorables, que tout ne soit pas fiai en un mot, rien n’est plus vraisemblable. C’est