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du poète Niemcewit, ou qu’il parcoure les phases diverses de l’illustre amitié qui unit l’empereur Alexandre et le prince Adam Czartoryski, soit enfin qu’il peigne les hautes figures de ces deux Polonais contemporains, le comte André Zamoyski et le marquis Wielopolski, toujours quelque chose du pathétique propre à son sujet palpite dans ces études écrites avec une éloquence mélancolique et une émotion contenue où l’on sent pour ainsi dire cette naissance des larmes que provoque en nous le spectacle des nobles malheurs. Le portrait du marquis Wielopolski en particulier est d’un relief saisissant, et s’empare de l’imagination à l’égal d’une figure de drame ou de poème. Rien de plus vivant ne s’est vu depuis longtemps dans le monde des faits que cette conception politique inspirée par une frénésie de vengeance qui fait revivre dans nos jours de mesquines ambitions et de froides intrigues les vigoureux sentimens des âges barbares et héroïques. Par l’originalité et l’intensité des passions, le marquis Wielopolski se présente comme un personnage en chair et en os d’un poème de Miçkiewicz, de Sigismond Krazinski ou de lord Byron, comme un frère de Konrad Wallenrod, d’Irydion ou de Childe Harold, et il est si bien leur frère en toute exactitude que le poète qui serait tenté de s’emparer de ce caractère n’aurait qu’à faire œuvre de réalisme et à le transporter dans le cadre qu’il choisirait sans altérer un seul de ses traits pour doter le monde d’une création poétique égale à toutes celles que nous avons citées. M. de Mazade a produit dans sa vie bien des pages excellentes, il n’en a pas à mon sens produit de plus durables que ces pages sur la Pologne, ni de mieux faites pour lui mériter une estime sans partage et une sympathie sans réserve d’opinions. Il a pu faire quelquefois des mécontens en Espagne, et l’Italie lui a valu en France plus d’un contradicteur ; sur ce sujet de la Pologne, au contraire, je suis sûr qu’il n’a rencontré que des approbateurs et des adhérens.

La politique cependant n’a jamais absorbé tout entière la studieuse existence de Charles de Mazade, et à toutes les époques le critique littéraire a aimé à alterner avec le publiciste. La critique occupe une place considérable dans l’ensemble de ses travaux, mais la plus grande partie de ses études reste encore disséminée dans les pages de ce recueil, et il n’en a jusqu’à ce jour été publié que trois volumes, les Portraits d’histoire morale et politique du temps, une longue et belle étude sur Lamartine, et deux portraits en pied de Marie-Antoinette et de Mme Roland, réunis sous le titre de Deux Femmes de la révolution. C’est peu sans doute par rapport à la quantité de travaux dont il est l’auteur, mais ce peu nous suffira largement pour marquer avec certitude les traits principaux de