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spontanéité de cette poésie jaillissant directement du cœur du poète, sans précédens littéraires, sans appui de doctrines, sans autres rapports avec la tradition que vagues, lointains et effacés ? mais c’est vers l’homme public qu’il se hâte, c’est le secret de l’homme public qu’il veut savoir de préférence, et ce secret, je le crois bien, s’il ne l’a pas absolument saisi, il l’a serré de plus près que personne ne l’avait fait avant lui.

Après tout ce qui avait été écrit sur Lamartine, il semblait que tout eût été dit sur ce sujet ; l’étude de M. de Mazade, une des dernières en date, n’en est pas moins d’une curieuse nouveauté. Le critique y développe une idée qui nous avait vaguement frappé nous-même lorsqu’il nous était arrivé de songer à Lamartine, mais qui n’a pris forme nette devant notre esprit que lorsque nous l’avons aperçue dans le miroir que nous présente notre collaborateur. Cette idée, c’est que le désaccord si considérable et jugé monstrueux par quelques-uns qui a coupé la vie de Lamartine en deux périodes tranchées où tout est en opposition, principes politiques, croyances morales, sources et mobiles d’inspiration, est plus apparent que réel, et qu’avec une clairvoyance quelque peu subtile il est possible de retrouver l’unité cachée de cette illustre existence troublée. Selon M. de Mazade, le royaliste de la restauration a toujours survécu chez Lamartine à son insu, et c’est ce premier homme qui a provoqué les transformations les plus hardies et les plus inattendues du second. Il vit tomber avec tristesse la monarchie de 1815, mais il ne jugea pas qu’il lui dût plus que ses regrets. Il accepta donc la révolution et le nouvel état de choses sans se rapprocher de la dynastie nouvelle, et ce fut là sa manière de garder fidélité à la dynastie déchue. La délicate situation d’âme et de cœur que lui faisaient les événemens lui créa une situation politique à son image. Placé entre un trône brisé qu’il regrettait et un trône nouveau auquel il gardait une aversion déguisée, il passa tout le règne de Louis-Philippe dans une sorte d’harmonieux isolement, séparé de tous les partis d’alors, et s’en rapprochant ou s’en éloignant selon qu’ils lui paraissaient servir ou offenser la liberté, seule puissance qu’il voulut dès lors honorer de son dévoûment sans emploi et de son amour sans engagement. Les cœurs trompés une première fois sont terribles dans leurs secondes affections, et ce second amour chez Lamartine fut d’autant plus âpre, plus jaloux et plus exclusif qu’il était grossi de toutes les rancunes secrètes laissées par sa première déception. L’amour de la liberté fut donc à la fois pour lui une passion et une vengeance, en sorte que les scènes parlementaires du 24 février, le cruel refus d’une régence, la proclamation de la république, triomphes apparens du parti