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hauteurs assez mal fréquentées de Charonne en suivant l’honnête rue du Faubourg-Saint-Antoine, qui est devenu aujourd’hui un quartier tranquille autant qu’industrieux, et qui a légué à Belleville l’héritage de sa mauvaise renommée. C’était un samedi, jour de paie, et comme minuit venait de sonner, les cabarets se vidaient peu à peu. Le large trottoir du faubourg était aussi encombré que celui de la rue de Richelieu en plein midi. Parmi cette foule qui s’écoulait, peu ou point d’ivresse, à peine une gaîté bruyante. Quelques rares femmes étaient mêlées à ces hommes en vêtemens de travail, et je ne pouvais m’empêcher de penser à celles qui, seules dans une chambre sans feu, se demandaient peut-être avec angoisse en ce même moment combien, pour payer la note du boulanger ou le compte du propriétaire, leur mari leur rapporterait d’argent sur la paie de la semaine.

Dans ces basses régions, la politique, comme on peut penser, ne descend guère, et leurs habitans ne s’inquiètent pas beaucoup de savoir ce qui s’est passé à la dernière séance de la chambre ou la composition du dernier ministère. Cependant les passions, les préjugés, les discussions même qui s’agitent au-dessus de leurs têtes ne laissent pas d’y avoir un certain retentissement, qu’une littérature grossière, la seule qui soit à leur usage, contribue à entretenir. Leurs sympathies ne sont point, je l’ai constaté sans étonnement, en faveur de la monarchie constitutionnelle. J’étais un soir attablé dans un cabaret de Montrouge lorsqu’entra un de ces chanteurs ambulans qui font le métier peu enviable, on va le voir, d’égayer par des chansons généralement assez vulgaires un auditoire aviné. Celle qu’il entonna avait cependant des prétentions plus hautes, car elle dépeignait les souffrances des paysans sous l’ancien régime, et chaque couplet se terminait par ce vers :

Place au progrès, place à la république !


Ce refrain avait le don d’exciter l’enthousiasme, et il était repris en chœur avec frénésie. Mais, quand le pauvre diable, sa casquette à la main, fit humblement le tour des tables, pas une poche ne fut ouverte pour lui jeter une aumône, malgré ses regards faméliques, et un groupe qui s’était formé auprès de la porte pour l’entendre se disperse en le voyant approcher. Aussi un auditeur malcontent laissa-t-il échapper à demi-voix cette réflexion humoristique : « Avec leur république, ils ne lui ont seulement pas donné un sou. »

Je ne voudrais pas promener les lecteurs qui ont le courage de me suivre plus longtemps qu’il n’est nécessaire dans cette triste société. Je leur demande cependant la permission de leur indiquer