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en cellule ont été, faute de place, rejetés dans le quartier commun.

Le quartier commun est lui-même divisé en plusieurs sections établies d’après le plus ou moins de perversité que fait présumer chez chaque détenu la nature de l’infraction commise par lui. C’est dans la sixième et septième division, affectées l’une aux condamnés pour vagabondage ou délits de mœurs, l’autre aux condamnés pour vols âgés de moins de vingt-cinq ans, qu’on rencontre le plus grand nombre de jeunes gens, et ils sont toujours nombreux à la Santé où on les envoie de préférence. A une date récente, la maison n’en contenait pas moins de trois cent cinquante-deux sur mille soixante-six détenus. Si l’on veut mesurer combien la peine subie dans le quartier commun est non-seulement illusoire, mais corruptrice, il faut les voir non pas à l’atelier où l’activité du travail maintient l’ordre et une certaine décence extérieure, mais au préau et surtout au chauffoir, vaste pièce où par les temps de pluie, sous la surveillance de deux gardiens, les détenus, les mains dans leurs poches, la pipe ou la cigarette à la bouche (tolérance abusive et qui n’existe que dans les prisons de la Seine), causent, rient, se bousculent, et lorsqu’on leur adresse quelques questions vous répondent d’un air narquois. Si l’un d’eux a conservé quelques bons sentimens, il n’aura qu’une idée, c’est de les cacher. Si le repentir commence à germer dans le cœur de quelque autre, un propos railleur, un conseil déshonnête étouffera bien vite ce germe. Et quelle charité, fut-ce celle de l’aumônier ou du pasteur, sera assez hardie pour remuer cette tourbe et y chercher les parcelles que n’a point encore atteintes la putréfaction ? Il faut le dire bien haut ; tout individu qui a subi une peine en commun sous une discipline aussi relâchée que celle des prisons de la Seine est, à moins de quelque cause de préservation particulière, irrévocablement corrompu, et si (ce qui est rare) il évite par chance ou par habileté de retomber de nouveau sous la main de la justice, il n’en mérite pas moins d’être classé parmi les malfaiteurs.

Telles sont les conditions où la détention est subie dans une prison qu’on a cependant raison d’appeler par comparaison avec les autres prisons de la Seine la prison modèle, car les détenus du quartier commun ont du moins l’avantage (qu’ils apprécient fort peu du reste) d’être enfermés pendant la nuit dans des cellules spacieuses qu’une bien petite dépense suffirait à rendre habitables aussi pendant le jour. Mais que dire de Sainte-Pélagie, vieille prison installée dans un couvent délabré, où il n’est rien qui échappe aux plus sévères critiques, ni les ateliers sombres et malsains, ni les cours humides et étroites, ni les dortoirs, qui sont de véritables chambrées de garni où les détenus sont abandonnés la