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serviteurs ; Azadj Woldé Gabriel prenait soin de lui procurer les provisions nécessaires, qu’augmentaient encore largement les envois des amis. Tous les dimanches donc il recevait un bœuf gras, tous les trois jours un mouton, tous les jours deux poules, douze œufs, deux jarres de tedj ou hydromel, deux jarres de bière d’une contenance de douze à quinze litres, soixante enjerras, sorte de galette plate, et mesurant 60 centimètres de diamètre environ, un berillé ou carafon d’araki, puis du café, du beurre, du miel à profusion, des épices. Au jour et à l’heure indiqués, ces présens arrivaient régulièrement ; on appelle cela le durgo. Il y avait toujours en réserve dans la prairie auprès de la maison plus de deux cents poules, quinze ou vingt moutons et huit ou dix bœufs, sans parler de quatre vaches laitières.

Si avantageux que puisse être pour le voyageur cet usage hospitalier, on en comprend sans peine les inconvéniens. C’est le pays où il se trouve qui fournit à ses dépenses, et quand sa suite est nombreuse, quand son séjour se prolonge, comme il arrive, la charge ne laisse pas d’être onéreuse, les peuples souffrent et murmurent. D’ailleurs ces générosités maintiennent l’étranger dans une dépendance absolue vis-à-vis du roi, et si la situation n’est pas autrement déplaisante pour celui qui vient en passant, elle n’est plus acceptable quand on veut s’établir dans le pays. M. Arnoux fit donc observer au roi qu’il ne faudrait plus à son retour recourir au système du durgo. Pour que l’installation française au Choa fût sérieuse et durable, il était nécessaire que les colons fussent réellement chez eux et à même de se suffire sans rien demander au pays. Le roi voudrait bien en conséquence leur céder en toute propriété une étendue de terre suffisante, non loin de la frontière ; on fonderait là une vraie ville française avec des ateliers pour tous les arts et les métiers, des écoles pour la jeunesse, une imprimerie, une pharmacie ; Minylik consentit à tout, et il fut décidé que M. Arnoux irait lui-même en compagnie d’Azadj Woldé Tsadek choisir l’emplacement qui lui conviendrait et dont il recevrait un titre de possession en règle.

C’est ainsi que le voyageur amenait peu à peu le roi aux idées et aux coutumes de l’Europe. La seule mesure usitée en Ethiopie est la coudée ; l’acheteur se fait toujours accompagner d’un camarade qui a les bras longs, le vendeur au contraire mesure avec des bras courts ; de là des contestations interminables. M. Arnoux avait apporté avec lui plusieurs mètres en bois et une roulette de dix mètres en étoffe ; il engagea vivement le roi à adopter le système décimal, mesure uniforme et constante, et, pour mieux le convaincre, choisissant deux hommes, l’un de taille moyenne, l’autre un peu plus grand, avec un mètre il prit mesure de leurs liras ; la