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Munzinger attaquait l’Aoussa ; au sud, le colonel Gordon, remontant le cours du Nil-Blanc, devait faire sa jonction avec Raouf-Pacha dans le Gouragué, sur les terres mêmes du roi de Choa, tandis qu’une flottille débarquait sur la côte de Zanzibar Mac Killop-Pacha et un millier d’hommes. Avec ses troupes disciplinées, son artillerie du nouveau système, ses fusils Remington, ses officiers européens, le khédive croyait évidemment ne faire qu’une bouchée de ces Abyssins[1], mal organisés, mal armés, qu’il enfermait dans un cercle de fer. Du reste, il avait pris ses précautions pour n’être pas inquiété. À Massaouah, la poste avait été supprimée ; tous les Européens qui se trouvaient dans cette île avaient reçu défense d’en sortir ; en même temps le silence des personnes qui auraient pu donner l’éveil était secrètement acheté à beaux deniers comptans ; il s’agissait de tromper l’Europe et de déguiser sous les grands noms de civilisation et de progrès une des plus injustes attaques dont fasse mention l’histoire de ces contrées.

Le roi partit pour Woreillou le dernier jour d’octobre ; mais auparavant il avait donné ordre à Oullassema Awegas de s’entendre avec les Adels et de leur rendre leurs prisonniers et leurs troupeaux, à la condition qu’ils s’engageraient à protéger la caravane et à l’escorter dans le désert. Déjà la plupart des chameaux et une bonne partie de marchandises étaient réunis ; désireux de fournir au commerce français des renseignemens positifs, M. Arnoux prenait soin de recueillir des échantillons des produits du pays. La culture est encore ici dans son enfance : le seul engrais dont on se serve est celui que fournit la combustion sur place des mauvaises herbes et des broussailles ; on gratte la terre avec une charrue toute primitive, comme celle des Kabyles, munie au bout d’une pointe en fer, le plus souvent en bois dur ; pourtant, grâce à l’heureuse combinaison des pluies et des chaleurs, le cultivateur obtient sans trop de peine jusqu’à trois récoltes à l’année ; les plantes légumineuses et oléagineuses alternent dans l’assolement avec les céréales.

Les blés sont de très belle qualité, blés durs comme le taganrog et tendres comme nos touselles de Provence ; l’orge vient aussi fort bien ; le tef donne une toute petite graine qu’on a souvent comparée au millet, sa tige, frêle et mince comme un fil, n’atteint pas moins de 50 à 60 centimètres de haut ; il y a plusieurs variétés de couleur dans les graines ; la blanche est la plus estimée, et l’on fait avec elle le tavieta de luxe ; c’est un pain en forme de galette, très léger, très blanc, mais fort peu nutritif. Parmi les légumes,

  1. Nous n’avons pas jusqu’ici employé ce nom ; en effet, c’est un terme injurieux que les Égyptiens appliquent à leurs voisins chrétiens en signe de mépris et qui Vient de l’arabe habechi, amas ou ramassis. Les Éthiopiens, parlant d’eux-mêmes, ne s’en servent jamais.