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avant de délivrer son prisonnier, il lui aurait fait imprimer une croix sur le bras en lui disant : « Tu porteras la marque du roi chrétien, » et pour effacer ce signe abhorré, on dut cautériser la chair au fer rouge. Un grand nombre de soldats avaient été pris avec leur chef ; le vainqueur ne garda que les musiciens et renvoya les bouches inutiles. Aujourd’hui les ossemens des envahisseurs, laissés sans sépulture, blanchissent la plaine où ils sont tombés : l’Égypte a toujours voulu nier ses désastres en Ethiopie et surtout la captivité du prince Hassan, mais ces faits sont de notoriété publique dans tout l’Orient.

Ailleurs les desseins du khédive n’avaient guère mieux réussi ; à la vérité ses troupes avaient occupé Zeila et Raouf-Pacha s’était emparé par la force du pays d’Harrar ; c’est Barantha, un des fils d’Abou-Bakr, qui avait servi de guide aux Égyptiens ; mais ce succès compensait à peine l’échec de Munzinger et de Ras Bourrou, massacrés par les Adels auprès d’Aoussa, avec les soldats qui les accompagnaient ; d’autre part, le colonel Gordon n’avait pu pénétrer jusqu’au lac Albert et allait rentrer au Caire avec les débris de son expédition ; enfin Mac Killop-Pacha, envoyé sur la côte de Zanzibar, avait dû, par suite de l’opposition de l’Angleterre, se retirer avec ses navires sans avoir rien fait. Voilà donc où avaient abouti les vues ambitieuses de vice-roi : à la honte pour lui, à la ruine pour son empire !

Le 30 janvier, on apprenait à Litché par un pli du roi, daté du théâtre de la guerre, la grande défaite des Égyptiens ; la première nouvelle de ce succès était arrivée au camp de Minylik par un message officiel de Johannès Kassa, et les réjouissances s’étaient prolongées trois jours dans l’armée de Choa pour fêter la victoire de ses alliés. En attendant le retour du roi, M. Arnoux jugea bon de prévenir Munzinger-Pacha, qu’on croyait toujours à Tedjourrah, de son prochain départ du Choa avec une mission amicale pour le vice-roi ; dans le cas d’une rencontre avec les soldats égyptiens, il le priait de donner des ordres pour la protection de la caravane. Par le même courrier, il écrivit à Abou-Bakr, l’ancien émir de Zeila, de vouloir bien envoyer à Obock en temps voulu, par une de ses barques, les provisions nécessaires, des dattes, du riz, quelques bœufs et un certain nombre de moutons. Les fils d’Abou-Bakr assuraient que leur père était en disgrâce auprès des Égyptiens et M. Arnoux croyait pouvoir compter sur lui. Lorsque le courrier arriva à Zeila, Munzinger-Pacha était déjà mort ; quant à Abou-Bakr, ses fils avaient menti : l’ex-émir s’était rapproché des Égyptiens. Rien des projets de M. Arnoux ne lui était caché ; il voulut en le perdant se faire bien venir de ses nouveaux maîtres et mériter son titre de pacha, A cet effet, il réunit tous les hauts