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« Depuis deux jours déjà, une petite caravane était annoncée ; partie de Zeila, elle conduisait au Choa le père Damascène, M. Pottier, un autre Français, et Guébfa Mariam, jeune Éthiopien élevé par les missionnaires. Le père Damascène était mort en route de fatigue et d’épuisement ; ses deux compagnons arrivèrent le 25 juin à Fareh avec leurs bagages et des provisions pour la mission. C’est d’eux que j’appris ce qui se passait à la côte et les dispositions d’Abou-Bakr à mon égard ; je sus aussi qu’ils avaient laissé à Zeila l’expédition italienne, commandée par le marquis Antinori, se rendant au Choa, et que je devais plus tard rencontrer en route.

« Je comprenais bien qu’une fois loin du Choa j’étais à la discrétion des Égyptiens ; pourtant je n’avais pas tant fait pour reculer. À bout de patience, comme les fils d’Abou-Bakr multipliaient les retards, je fis charger les chameaux et donnai l’ordre du départ. Moi-même, prenant les devans, je vins coucher à Détarah, à trois heures de marche de Fareh. La caravane ne comptait pas moins de 165 chameaux aux mains de 90 chargeurs et gardiens, qui avaient é(é loués en tout 400 talaris. J’avais reçu du roi 2,000 talaris que je réservais pour les besoins de mon voyage en Europe. Un chameau était spécialement chargé de porter la civette ; 16 chevaux de selle magnifiques, de pur sang galla, choisis par le roi lui-même entre plusieurs mille, et splendidement harnachés, étaient conduits par la bride ; deux autres, non moins beaux, mais sans harnais, devaient remplacer ceux qui pourraient mourir en route ; enfin venaient 5 mules, que je tenais en réserve comme cadeau pour les divers chefs adels dont je pourrais avoir à me louer.

« À Détarah, les fils d’Abou-Bakr me firent attendre encore cinq jours ; pendant ce temps, je vis arriver au campement plus de cinq cents esclaves que conduisait Mohamet ; c’étaient pour fa plupart de jeunes garçons ou de jeunes filles, presque des enfans. Détarah est un pays entièrement musulman, et, bien qu’il dépende du Choa, l’autorité du roi chrétien n’y est pas encore assez établie pour avoir pu supprimer du premier coup cet odieux trafic. Pourtant j’appris qu’un jeune Éthiopien était parmi les nouveaux venus ; on l’avait volé à sa famille ; aussitôt je donnai ordre de l’amener sous ma tente, je fis mander Wollassema Awegas, gouverneur de l’Argoba, qui se trouvait alors avec nous, et en vertu de l’éditgdu roi je le sommai de faire conduire l’enfant sous bonne escorte jusqu’à Fekrié Gumb, là de le remettre à M ? r Massaja qui le rendrait lui-même à ses parens ; ce qui fut fait. Mais depuis ce jour je ne revis plus Ibrahim, l’autre fils d’Abou-Bakr ; il avait réuni, lui aussi, une nombreuse bande d’esclaves, et, craignant pour sa marchandise mes revendications, il se contenta de nous suivre à la distance de trois ou quatre jours de marche.