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l’Aouach ; c’est ici que je vais voir si les chefs adels tiendront la promesse faite à Fareh ; les bords du fleuve sont très dangereux, le jour à cause des indigènes ? ennemis jusqu’alors de tous les étrangers, la nuit à cause de la foule des éléphans, des lions et des panthères qui infestent ces parages. Aussi je redouble de surveillance ; près de six cents Adels entourent déjà notre campement.

« Vendredi 7. Une crainte me poursuivait depuis mon départ, c’était d’arriver trop tard sur les bords du fleuve. Les pluies, comme on sait, commencent en Ethiopie à la fin de juin ; il pleuvait déjà depuis quelques jours sur les hauts plateaux, il était urgent de passer sur la rive opposée avant que la crue se fût fait sentir. Je mets tout mon monde à couper du bois pour construire un radeau ; ce radeau fut fait de branches solidement liées entre elles avec des cordes d’aloès dont j’avais fait provision ; une trentaine de peaux de bouc, remplies d’eau et attachées en dessous, servaient à le soutenir ; enfin un câble composé de plusieurs cordes et reliant les deux rives permettait de le diriger à la façon d’un bac à travers le fleuve. Mis à l’eau, il pouvait ainsi porter environ 500 kilogrammes. Malgré le câble et les outres, une vingtaine d’hommes sont obligés de se mettre à l’eau et de pousser le radeau à la nage pour lui faire franchir le courant très rapide en cet endroit. Sur le talus opposé, haut de 4 mètres, un sentier avait été préparé pour monter la marchandise ; soixante balles de café sont ainsi transportées avant la nuit. Un de mes plus forts chameaux était sur le point de mourir ; les Adels me demandent la permission de le tuer et de le manger ; j’y consens.

« Le lendemain, l’opération du passage continue. Un des chefs adels, à qui j’avais fait rendre son fils prisonnier au Choa, vient me voir sous ma tente et m’amène un bœuf, qu’il me prie d’accepter en témoignage de sa reconnaissance ; je lui donne en échange un manteau éthiopien pour lui et une pièce de toile pour son fils. « Je sais, me dit-il, que tu es l’ami du roi de Choa ; quand tu seras de retour, je viendrai te saluer et je te donnerai mon fils que tu m’as rendu, il sera à toi, je sais que tu lui feras du bien. » J’acceptai son offre et il se retira content.

« Pendant que je m’occupais de ma marchandise, Mohamet de son côté travaillait à faire passer ses esclaves. Ce n’était certes pas une petite affaire ; aucun de ces malheureux ne savait nager. Les hommes de Mohamet avaient construit, eux aussi, un misérable radeau en branchages ; c’est là qu’ils entassaient pêle-mêle les filles, les femmes et les garçons ; la faible embarcation s’enfonçait sous le poids, et les passagers avaient de l’eau jusqu’à la ceinture ; quelques hommes poussaient par derrière en nageant. Tout autour