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communiquent les instructions d’Abou-Bakr ; d’autre part les cheiks qui s’étaient chargés d’alléger l’expédition italienne étaient furieux de trouver en moi un obstacle à leurs desseins. Le marquis avait eu le tort de laisser voir qu’il avait de l’argent ; aussi ses hommes ne voulaient-ils plus être payés qu’en numéraire ; un jour qu’il refusa, on lui enleva pendant la nuit une caisse contenant encore 300 talaris. En route, des groupes entiers de chameaux disparaissaient chez les Issas ; deux ou trois jours après, on venait offrir au marquis ces mêmes chameaux et il les louait sans les reconnaître. A chaque campement, le nombre des colis diminuait. Il avait fallu à plusieurs reprises se procurer des mulets ; chaque bête était louée deux fois sa valeur, le lendemain elle avait disparu. M. Landini, un vieillard, et le capitaine, s’étaient vus, faute de montures, obligés de faire de longues courses à pied. Toutes ces misères auraient pu être évitées avec un peu d’énergie ; à part les emprunts forcés d’Abou-Bakr, contre lequel j’étais impuissant, il ne m’a jamais été rien volé.

« Tout d’abord, je fis observer à ces messieurs qu’on ne paie jamais en argent dans le désert ; l’argent doit être soigneusement caché et tout le monde ignorer les colis où il se trouve. Les colis de bagages doivent avoir une dimension uniforme, être recouverts d’un fort emballage, solidement ficelé, pour supporter le transport à dos de chameau et les brutalités des chargeurs ; le chef de la caravane est responsable des colis ainsi emballés. Il faut aussi prendre soin d’avoir sous la main les provisions et les objets de première nécessité, ainsi qu’une certaine quantité de pièces d’étoffe, suffisante pour les frais de route. A l’arrivée au campement, les colis sont soigneusement empilés en boulot, et personne ne doit y toucher ; sur les hauts plateaux, la manière de voyager n’est plus aussi rigoureuse.

« Au moment de notre départ du Choa, il avait été convenu avec Ibrahim et Mohamet, en présence du roi, que le salaire des chargeurs et des guides serait réglé d’avance pour tout le voyage ; mais alors, après s’être concerté avec ses nouveaux alliés, Mohamet osa soutenir que les chargeurs n’avaient été payés que jusqu’à Tull Harré, qu’il fallait renouveler leur engagement jusqu’à Zeila ; de plus ils exigeaient que je les payasse en argent comme avaient fait les Italiens. La situation devenait critique ; retournerais-je au Choa avec mes Éthiopiens pour porter plainte au roi ? Mais Mohamet menaçait d’abandonner les marchandises en plein désert ; c’était mon entreprise avortée. Mieux valait encore sacrifier quelques talaris. Je dis à Mohamet de choisir les chargeurs comme il l’entendrait et de fixer lui-même la somme qu’il exigeait ; je m’engageais