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présens. Dès les premiers jours, comme il craignait d’être retenu quelque temps encore à Zeila et que dans cette ville l’eau et la verdure manquent absolument, M. Arnoux s’était empressé de renvoyer les chevaux à la station de Tococha avec leurs gardiens. Voici comment on s’y prit pour achever de le dépouiller.

Son personnel éthiopien se montrait chaque jour plus récalcitrant ; le mauvais exemple était parti de Gavré Teklé, qu’il avait connu à Massaouah, et de Joseph Negousieh, le drogman, attaché à sa personne depuis plus de cinq ans : c’étaient eux précisément qu’il avait choisis pour l’accompagner en Europe ; quant aux autres, nourris et défrayés de tout, ils devaient attendre à Zeila jusqu’à son retour, puis revenir avec lui au Choa, où ils auraient reçu la récompense de leurs services ; telles avaient été les conditions établies en quittant Fareh. Mais les deux plus importans de la bande se laissèrent gagner aux avances des Égyptiens ; perfidement, ils insinuèrent à leurs camarades qu’une fois sorti du territoire égyptien, M. Arnoux ne s’inquiéterait plus de leur sort et s’enfuirait avec les marchandises ; esprits crédules et facilement soupçonneux, ceux-ci crurent de bonne foi ce qu’on leur contait. Sur alors de n’être pas contredit, Abou-Bakr réunit le divan, et là déclare que Gavré Teklé est seul l’envoyé du roi Minylik, et Joseph son drogman, que le Français n’est qu’un imposteur, qu’il n’a jamais reçu de mission du roi, qu’il veut vendre les marchandises en arrivant en Europe, en garder le produit et ne plus revenir au Choa. En conséquence, il convient de s’opposer à son départ jusqu’à la réponse du roi, qu’on va prévenir sans retard, et, pour le moment, on consignera les marchandises et les papiers qu’il détient indûment. Là-dessus, une troupe de gens armés envahit la tente de M. Arnoux et fait main basse sur les malles, les boucliers, les lances et les harnais ; le lendemain, ce fut le tour de la marchandise et des chevaux, on ne lui laissa que la civette, à cause des soins qu’exigeait son entretien. Abou-Bakr aurait bien voulu s’emparer aussi de deux lettres du khédive qu’il savait en la possession du voyageur, lettres précieuses où se révélait la politique perfide de l’Égypte à l’égard de l’Ethiopie ; mais cette fois il se heurta à une résistance désespérée.

Pour comble de malheur, le nouvel agent de la France à Aden refusait d’intervenir officiellement dans toute cette affaire ; le capitaine Martini, malgré sa promesse, n’avait pas jugé à propos de l’aller voir lors de son passage à Aden pour l’intéresser à la cause de notre compatriote ; ce fonctionnaire ne connaissait guère M. Arnoux que par les allégations mensongères des agens d’ Abou-Bakr ; en effet, Gavré Teklé avait pris son rôle au sérieux et se donnait