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(ville de Barca), Tarragone, etc., attestent plus sûrement leur origine punique. Notons enfin, comme une sorte de bizarrerie historique, le nom à la fois espagnol et anglais de Port-Mahon, Portus Magoniq, ainsi nommé du Carthaginois Magon qui découvrit les avantages de ce port, l’un des plus beaux de la Méditerranée. On sait que ce nom de Mahon fut donné avec le titre de vicomte à James Stanhope, en souvenir de son expédition victorieuse à Minorque en 1708.

Une chose peu connue et qui ne manque pas non plus d’analogies modernes, c’est que les familles carthaginoises enrichies par le commerce maritime ne persistaient pas dans la profession. Elles consolidaient leur fortune en biens de terre, se construisaient de belles villas dans les campagnes, les entouraient de jardins splendides et faisaient cultiver leurs vastes domaines par de nombreux esclaves. Les Grecs et les Romains, quand ils débarquèrent en Afrique, furent émerveillés de cette opulence rurale dont ils n’avaient aucune idée. Ce fut même le spectacle de cette richesse qui détermina le vieux Caton à réclamer la destruction à tout prix d’une cité qui, malgré ses désastres, ses pertes énormes, sa marine ruinée, trouvait dans son sol d’incalculables ressources. Le Carthaginois n’était pas moins bon agriculteur que hardi marin. Il avait des ouvrages très remarquables traitant de l’agriculture, un entre autres qui ne comptait pas moins de vingt-trois livres, et qui était l’œuvre d’un magistrat nommé Magon. Telle était la réputation de ce traité qu’après la conquête définitive et lorsque le sénat romain, encore très dédaigneux de tout ce qui intéressait les lettres, eut fait cadeau aux chefs berbères, ses alliés, des bibliothèques trouvées à Carthage, il décréta qu’il serait fait une exception pour l’œuvre de Magon et qu’on la traduirait en latin. Varron, Pline, Columelle, ont connu ce livre magistral et en font le plus grand éloge.

Il n’est resté aucun débris de poésie carthaginoise. Probablement le génie sémitique, là comme ailleurs, fut infécond sur le domaine du drame. Mais il est inadmissible que Carthage n’ait rien produit en fait de poésie lyrique. Sa langue, si hétérogène en Occident, est sans doute la principale cause de notre ignorance. Ce dut être un grand avantage pour les commerçans carthaginois que de pouvoir se servir d’un idiome si différent de tous ceux qui se parlaient dans les régions par eux visitées et exploitées, mais cela dut contribuer aussi à leur isolement moral. La langue phénicienne, telle qu’on peut la reconstituer au moyen des inscriptions, resta celle de Carthage jusqu’à la fin. Elle était très analogue à l’hébreu. La plupart des noms carthaginois conservés par l’histoire s’expliquent aisément quand on les rapproche de la langue d’Israël. Hamilcar