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C’est au milieu des Scipions qu’il recueillit les documens et les traditions des premières guerres puniques. Il est juste d’en tenir compte et de ne pas accepter les yeux fermés toutes les appréciations de vainqueurs parlant de leur ennemi vaincu. Toutefois on reconnaît la hauteur de vues qui distinguait cette illustre famille à la modération relative et à la convenance avec laquelle il est parlé des Carthaginois et en particulier d’Hannibal. Il est donc doublement fâcheux que, parmi les nombreux fragmens de l’œuvre de Polybe qui ne nous sont pas parvenus, nous devions ranger le récit de la troisième guerre punique dont il fut le témoin oculaire. Le seul dédommagement, c’est que le récit d’Appien semble n’être en grande partie que la reproduction du sien.

Carthage, depuis Zama, était donc à la merci de Rome. Elle avait dû livrer les déserteurs et les prisonniers, tous ses éléphans, tous ses vaisseaux de guerre, sauf dix. Cinq cents vaisseaux furent brûlés par les Romains à la vue des Carthaginois atterrés. Carthage ne pouvait plus faire la guerre ni en Afrique ni ailleurs sans la permission de Rome, qui en retour lui assurait sa protection. Elle renonçait à tous ses droits sur les îles de la Méditerranée et sur l’Espagne. Enfin elle devait payer en sept ans une contribution de guerre équivalente à 1,250 millions, valeur actuelle, qui permit à sa rivale de poursuivre le cours de ses conquêtes.

Rome, par le fait même des guerres puniques, se trouvait lancée dans la voie des conquêtes extra-italiennes. La prépondérance que lui assurait dans toute la Méditerranée sa victoire sur Carthage la poussait nécessairement à étendre son empire sur toutes les contrées riveraines de ce grand lac intérieur, si elle ne voulait pas rester toujours exposée à quelque coalition provoquée par la crainte même qu’elle inspirait désormais à tous. La Macédoine fut la première subjuguée. On se rappelle que son roi Philippe avait promis son concours à Hannibal. La Grèce suivit bientôt, puis l’Asie-Mineure.

Pendant ces cinquante années, Carthage, chose incroyable, se releva encore. Hannibal ne se montra pas moins homme d’état que grand capitaine. Élu suffète par le vote populaire, il renversa le système oligarchique auquel il substitua un conseil élu librement chaque année. Il ramena l’ordre dans les finances, qui avaient beaucoup souffert d’une administration sans contrôle, et il sut si bien faire que, sans imposer de taxes nouvelles, ses successeurs purent au bout de treize ans rembourser les emprunts qu’il avait fallu contracter pour payer les vainqueurs. Rome s’alarma ; elle reconnut la suprême habileté de son ennemi juré et exigea qu’on le lui livrât. Hannibal s’exila volontairement pour tirer ses concitoyens d’embarras. Il visita Tyr, le berceau de sa race, il put se dire, en la