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dérogent à la gravité classique, — parce qu’enfin c’est leur faire tort à elles-mêmes que de les transporter trop loin du boulevard. Disons-le donc : c’est à de telles reprises que M. Perrin devrait substituer les reprises que nous demandons de l’ancien répertoire. Avec cela, s’il le fallait, s’il n’y avait pas d’autre moyen de s’alléger, nous ne verrions aucun inconvénient à ce que l’on jetât une bonne fois par-dessus bord tout un fonds de pièces démodées, mal écrites, médiocrement plaisantes, qui se perpétuent à la scène, on ne sait trop pour quelle raison, par quelle grâce singulière, le fonds des Wafflard, des Fulgence, des Mazères, avec cela plus d’un vaudeville de Scribe qui serait mieux à sa place partout ailleurs que dans la maison de Molière. Je n’ai jamais compris par quelle surprise du hasard le Voyage à Dieppe, de toutes ces pièces que nous proscrivons en masse la plus capable de faire rire encore, appartenait et se maintenait au répertoire de la Comédie-Française.

On le voit, c’est peu de chose, en somme, que nous demandons, moins que rien, à vrai dire, car s’il est possible qu’un directeur de l’Opéra fasse parfois la sourde oreille ou qu’il oppose aux réclamations la longueur de temps, le total des frais, le manque d’artistes, ou pour mieux dire de voix, un administrateur du Théâtre-Français ne peut pas tout à fait tenir le même langage. La longueur de temps, on peut l’invoquer aujourd’hui, dans quelques années on ne le pourrait plus. Il suffirait de remettre le répertoire à jour et de l’y maintenir. Quant aux frais, on connaît ce fameux « palais à volonté, » dans l’étroite enceinte duquel on peut jouer tout Racine, presque tout Corneille et presque tout Molière. Le drame romantique, lui, coûte fort cher à monter : il y faut des architectures, des décors, des costumes, des accessoires, des cercueils, des poignards, le tout pour faire illusion sur le vide réel et profond de l’action. Mais dans la comédie de Molière, quand on a rajusté pour Brindavoine « un pourpoint taché par devant, » ou pour La Merluche « un haut-de-chausse troué par derrière, » que faut-il davantage ? Et dans la tragédie classique, je pense qu’il nuit plutôt qu’il ne sert de pousser trop loin la recherche du prétendu détail historique. Je ne voudrais pas voir, comme au XVIIe siècle, l’Achille de Racine « en gants blancs, » mais il ne me déplairait pas moins fort qu’il fût accommodé dans le dernier goût de l’archéologie.

Restent les difficultés de la distribution. Il se dit couramment que le grand répertoire ne saurait être convenablement interprété que par des Rachel et des Talma. Nous ne le croyons qu’à moitié. Dans un ciel romantique, il faut deux ou trois étoiles, comme on les appelle, pour en illuminer l’obscurité profonde. C’est que le poète ayant épuisé toute son inspiration pour tracer deux ou trois caractères, le reste est régulièrement sacrifié. Une tragédie de Corneille ou de Racine est