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dans la faveur flatteuse de Marie-Thérèse et de prendre peut-être un grand rôle politique qu’elle n’a pas eu encore. C’est à ce moment, en septembre 1755, que Bernis, qui est encore à Paris, est mandé par un mot mystérieux de la favorite et reçoit la confidence de la négociation précise que propose l’ambassadeur de l’impératrice, le comte de Staremberg. Mme de Pompadour ne pouvait avoir un confident plus sûr, plus discret, et le roi lui-même avait désigné l’abbé. Bernis a bien souvent passé pour l’inspirateur ou le promoteur, ou dans tous les cas pour l’instrument frivole de cette révolution diplomatique. Il n’avait rien conseillé ; il n’avait pas la puérilité de songer pour sa part à se venger d’un vers moqueur de Frédéric II. Bernis, il faut le dire, n’avait point hésité dès le premier moment à montrer le danger d’un système qui changeait la politique traditionnelle de la France, qui conduisait fatalement à la perturbation de l’Europe, à la guerre avec la Prusse, à la suite de l’Autriche. Sa seule faiblesse est de s’être prêté à une illusion, de n’avoir pas tenu ferme, de n’avoir pas combattu jusqu’au bout l’idée d’une négociation à laquelle il voyait le roi et Mme de Pompadour s’intéresser si vivement, et où il restait, lui, le négociateur principal, un négociateur résigné et inquiet.

La première conférence engagée sur les offres de l’Autriche se passait à Bellevue, au petit château de Babiole, où se rencontraient mystérieusement Mme de Pompadour, l’abbé de Bernis et le comte de Staremberg. Dès lors les entrevues se succédaient, toujours combinées de façon à déjouer toutes les curiosités. Le secret devait être absolu ; il restait entre l’empereur, Marie-Thérèse, M. de Kaunitz du côté de l’Autriche, et le roi Louis XV, Mme de Pompadour, l’abbé de Bernis du côté de la France. Il fut strictement gardé. Bernis, qui n’était pas de l’autre secret du roi, de celui dont M. le duc de Broglie vient de se faire le brillant historien, Bernis, qui n’était que du secret avec l’Autriche, qui en était seul et qui en avait assez d’émotion, écrivait tout de sa main et mettait tout son art à ne laisser rien transpirer. « Pour conserver le secret de la négociation, dit-il, j’étais obligé de me livrer au monde et de mener la vie d’un homme qui n’aurait rien à faire ; j’étais donc forcé de passer les nuits dans le travail. Qu’on ajoute à ces fatigues du corps et de l’esprit les inquiétudes d’un homme qui excite la jalousie de tout le conseil du roi, l’attention perpétuelle qu’il me fallait avoir pour éviter les pièges qui m’étaient tendus de toutes parts et les espions dont m’environnaient les ministres étrangers… » La situation était singulière en effet, et surtout plus forte que l’homme chargé d’en porter le poids.

Au premier moment de ces négociations mystérieuses, Bernis avait vu avec sagacité le nœud de l’affaire ; il avait senti le péril et, ne