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L’ÎLE DE CYPRE.

se joindre, pour former le noyau de la collection cypriote du Louvre, aux monumens que M. Guillaume Rey avait recueillis dans l’île et libéralement offerts au musée. Après une première exploration du Haouran, où il avait comme frayé la voie à M. Waddington et de Vogüé, M. Rey s’était consacré surtout à l’étude des édifices laissés par les croisés sur le sol de la Syrie ; c’était dans cette pensée qu’il en avait parcouru les districts les plus infréquentés et les plus difficiles d’accès, pour visiter ensuite cette île de Cypre où s’étaient réfugiés ; une fois chassés de la Palestine, les chevaliers et les princes latins[1]. Cependant, s’il faisait porter de préférence ses recherches sur les ruines et les souvenirs du moyen âge, il n’en avait pas moins saisi toutes les occasions de signaler et d’acquérir les monumens antiques qui se rencontraient sur son chemin ; c’est ainsi que le Louvre lui doit, outre l’une de ses plus belles inscriptions phéniciennes, un précieux fragment de statue royale, acheté par lui, en 1857, à Sarfend, l’antique Sarepta, entre Tyr et Sidon. La statue, lorsqu’il en devint maître, venait de sortir de terre, et il existe bien peu de monumens de cette dimension que l’on puisse citer avec autant de confiance comme représentans de l’art phénicien, tel qu’il était dans ces âges reculés où l’Égypte des Thoutmès et des Ramsès imposait à tous les peuples riverains de la Méditerranée l’imitation de son style et de son goût, comme la Grèce le fera dix ou douze siècles plus tard.

Dès 1860, M. Rey avait rapporté d’un premier séjour à Cypre une statue de pierre calcaire, à peu près grande comme nature, à laquelle il ne manque que les pieds. La tête est couronnée de feuillage, la barbe longue et pointue ; le corps est drapé dans un vêtement étroit et collant. Il est entré dans les musées, depuis ce temps, un certain nombre de figures cypriotes plus importantes, soit par leurs proportions, soit par la variété des attributs qui les caractérisent ; mais alors c’était une rareté, et seul peut-être en Europe Berlin avait la pareille. Ce même don comprenait encore, outre d’autres objets de moindre importance, un bouclier de bronze et deux bustes, l’un d’homme, l’autre de femme, qui provenaient aussi de Dali. Quoique moins anciens que la statue, ces bustes sont remarquables par la couche de peinture antique qui y couvre en-

  1. Les documens recueillis pendant ces courses ont été mis en œuvre par M. Rey dans plusieurs ouvrages, parmi lesquels nous ne citerons que l’Étude sur l’architecture militaire des croisés en Syrie et dans l’île de Cypre. Le même érudit a été chargé par le ministère de l’instruction publique d’achever et de publier le grand travail jadis entrepris par Ducange sur les Familles d’Outre-mer. Il en a déjà donné le premier volume dans la Collection des documens inédits.