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L’ÎLE DE CYPRE.

avait en vain tenté d’obtenir de la Porte un firman qui lui permît d’entreprendre des fouilles ; par respect pour les droits du sultan, l’ambassadeur de la reine s’était toujours refusé à exercer sur les ministres turcs la pression nécessaire ; ceux-ci alléguaient les intentions du gouvernement ottoman, qui voulait former un musée et ne pouvait laisser dépouiller l’île de ses richesses. La plaisanterie était bonne. M. Sandwith n’en réussit pas mains à se faire une assez belle collection.

Nous ne devons pas oublier les services rendus par un Grec de Larnaca, M. Dimitri Piéridès. Tout enfant, il avait été adopté par un riche Anglais de passage à Cypre ; celui-ci l’avait emmené en Angleterre et lui avait fait donner une éducation classique. De retour dans l’île, protégé anglais, employé à la Banque ottomane, M. Piéridès devait à cette situation une indépendance qui favorisait ses études et ses acquisitions. Il a sauvé et publié beaucoup d’inscriptions phéniciennes, cypriennes et grecques ; mais ce qu’il recherchait surtout, c’était les médailles ; il était l’associé de M. Lang dans l’affaire des statères d’Alexandre. La numismatique lui doit de précieuses conquêtes.

Enfin, encouragés par les prix très rémunérateurs qu’ils trouvaient à Larnaca, les paysans eux-mêmes s’étaient mis partout à fouiller. Le poids de plus en plus lourd de l’impôt les dégoûtait du travail des champs ; sur certains produits, les taxes ne laissaient au cultivateur presque aucun bénéfice. Les vases au contraire et les statuettes n’avaient point de tribut à payer au fermier des dîmes ; il suffisait de savoir vendre en cachette. Il y a d’ailleurs dans cette chasse aux antiquités un imprévu, des surprises, des coups de fortune qui lui donnent quelque chose de l’attrait des jeux de hasard. Une fois que l’on a goûté de ce métier, on n’en veut plus faire d’autre ; on prend en pitié la culture, l’ingrate monotonie de ses occupations régulières, les faibles profits qu’elle promet sans tenir toujours parole.

Ce furent les Daliotes surtout qui se firent de ces recherches une profession. Les gens d’Athiénau, le village qui a remplacé Golgos, sont muletiers de père en fils ; ceux de Dali devinrent presque tous fouilleurs de leur état ; il faut bien inventer ce mot pour désigner ce métier, qui n’a pas d’analogue chez nous. Ils avaient pris l’habitude, une fois la moisson finie, d’en demander une autre au sol dépouillé de ses récoltes ; ils le sondaient et le retournaient un peu au hasard, et presque toujours ils trouvaient quelques objets de défaite facile. Ils avaient acquis ainsi quelque expérience, et, lorsque commencèrent les grandes fouilles de M. Lang et Cesnola, ceux-ci recrutèrent leurs meilleurs ouvriers parmi les Daliotes. Il faut lire dans le livre de M. de Cesnola la touchante histoire d’un paysan de