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collaborateurs, ce même abbé Lafon, dont il à déjà été question, et un jeune caporal de la garde à pied de la ville de Paris, du nom de Rateau, employé aux écritures dans la maison Dubuisson, à qui il avait su inspirer le plus aveugle dévoûment.

Pour l’exécution, Malet s’adjoignit un certain Boutreux, avec qui depuis longtemps il avait des intelligences. Boutreux se chargea d’aller prendre chez Mme Malet les effets, armes et costumes nécessaires. C’est lui qui devait jouer le rôle de commissaire de police, pendant que Rateau remplirait celui d’officier d’ordonnance ; aussi eut-il soin de se procurer une écharpe tricolore. Cette échappe, un costume de général et un habit d’officier d’ordonnance, toute la mise en scène de la conspiration devait se borner à ces trois objets ! On croit rêver quand on songe à la pauvreté de ces moyens, comparés à la grandeur de l’entreprise. L’histoire n’offre, dans le même genre, rien de plus extraordinaire que cette conspiration tramée sans argent, sans autres complicités que celles de deux agens subalternes, par un obscur soldat, contre un gouvernement qui disposait d’une puissance formidable.

C’est dans la nuit de 22 au 23 octobre que Malet avait résolu d’engager l’action. Vers dix heures du soir, il quitta, suivi de l’abbé Lafon, la maison de santé du docteur Dubuisson et se rendit place Royale, chez un prêtre espagnol, pour revêtir son uniforme qui avait été porté là. Boutreux et Rateau l’attendaient ou vinrent le rejoindre. On se mit en tenue, comme il avait été convenu : Malet en général de division, Rateau en officier d’état-major, Boutreux en commissaire de police. Il pleuvait à torrens ; pour passer le temps, on prit du punch, on soupa. Ce fut un grand malheur, au dire de M. Hamel, « car si les choses se fussent exécutées pendant la nuit, aucune des autorités civiles et militaires n’aurait eu le temps de se reconnaître, et la conspiration eût été probablement suivie d’un plein succès. » Il était trois heures et demie du matin quand les trois complices quittèrent la place Royale[1]. Ils avaient décidé de se rendre, en premier lieu, à la caserne Popincourt, où se trouvait la 10e cohorte. Arrivé là, Malet se fait reconnaître du poste et conduire à la chambre du colonel Soulier, le réveille, se présente à lui sous le nom du général Lamotte, et lui annonce en quelques mots très brefs la nouvelle de la mort de l’empereur et de la formation d’un gouvernement provisoire. Le colonel Soulier, vieux soldat qui aimait beaucoup son empereur, mais qui ne connaissait rien en dehors de sa consigne, sort aussitôt de son lit sans trouver une

  1. L’abbé Lafon ne les accompagnait pas ; il resta prudemment par derrière, attendant le résultat. On ne le vit pas de la journée. Quand il sut que l’affaire était manques, il quitta précipitamment Paris et réussit à passer, sous un faux nom, la frontière.