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paraissait probable. Quant aux dix-neuf autres prévenus, si leur complicité matérielle était certaine, il semble que l’instruction aurait pu se donner la peine de prouver qu’ils avaient agi sciemment. L’autorité de la procédure et du jugement qui s’en suivit y eût certainement gagné. Mais ce fut surtout au cours des débats que se marqua d’une façon vraiment scandaleuse la précipitation des juges. L’un des prévenus, le Corse Boccheiampe, qui savait à peine parler français, réclamait un défenseur, « On vous comprendra toujours assez, » lui dit un des membres de la commission.

Le colonel Soulier se plaignait aussi de n’avoir pas d’avocat. On lui répondit qu’il aurait dû en faire venir un, et comme il insistait, objectant avec raison qu’on ne l’avait averti qu’à huit heures du soir, un juge, intervenant, lui imposa brutalement silence avec ces mots : « On écrit le soir ; tous les avocats ne sont pas couchés à huit heures. » — « Mais, répliqua Malet, à cette heure les geôliers sont couchés et les prisonniers sous clé, sans lumière. » La réponse était péremptoire ; la commission n’en passa pas moins outre, et, sans un avocat qui se présenta au dernier moment pour le capitaine Stenhower et qui dit incidemment quelques mots des autres prévenus, aucun de ces malheureux n’eût été sérieusement défendu. Encore cet avocat n’eut-il que quelques heures pour disposer son plaidoyer.

Une telle violation des formes ordinaires de la justice était déjà fort grave. L’erreur où tomba la commission, en appliquant la même peine au chef de la conspiration et à de simples comparses, fut plus regrettable encore. La plupart des prévenus s’étaient contentés dans leur réponse d’exciper de leur bonne foi et du trouble où les avait jetés la nouvelle de la mort de l’empereur. La commission ne daigna pas s’arrêter à ce système de défense ; il lui parut complètement inadmissible. Même un des juges fit à ce propos cette réflexion prodigieuse : « Je demande à l’accusé Soulier, dit-il, comment il peut se faire qu’un officier supérieur ait pu perdre la tête, lorsque Malet vint lui dire : — Je vous apporte une grande nouvelle (la mort de l’empereur). — A ce seul mot, un officier dévouer à son souverain devait avoir sur-le-champ sa présence d’esprit… C’est justement dans un instant comme celui-là qu’il faut qu’on sache bien que les militaires ne perdent jamais la tête, parce que l’empereur est immortel. Quand l’empereur meurt, on crie : Vive l’empereur ! »

Devant de tels argumens, les accusés n’avaient qu’à s’incliner. C’est ce qu’ils firent pour la plupart, et non sans dignité. Malet surtout fut vraiment supérieur à lui-même en cette heure décisive. Sa fermeté ne se démentit pas un seul instant. Il sut trouver des accens pleins de fierté. Comme le président lui demandait quels