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que l’illusion serait courte et ne comptait que sur la toute-puissance des faits accomplis pour se maintenir. Il spéculait en joueur audacieux sur le succès même. Un homme heureux, en France, est si fort ! Mais tout porte à croire qu’il se trompait dans ses calculs. Le sénat impérial et les grands corps d’état, si peu sûrs qu’ils fussent, les hauts fonctionnaires du gouvernement, si faibles qu’ils se soient montrés dans l’affaire du 23 octobre, n’auraient jamais trahi l’empereur vivant et debout. Au contraire, ils eussent mis d’autant plus de zèle à son service qu’ils se fussent sentis plus compromis ou plus coupables de négligence et de pusillanimité, sinon de défection.

D’ailleurs, il ne faut pas l’oublier, en 1812 Napoléon avait encore, malgré ses fautes, malgré l’Espagne, malgré la campagne de Russie, tout son prestige sur l’armée. Il lui eût suffi de se présenter, avec le chapeau du petit caporal sur la tête, pour enlever les régimens envoyés à sa rencontre. Par ce qu’il fit en 1814, exilé, déchu, contre Louis XVIII et l’Europe entière, on peut se rendre compte de ce qu’il eût fait deux ans plus tôt, n’ayant pas encore été vaincu, contre un usurpateur.

Au résumé, la conspiration Malet n’avait aucune chance de succès. M. Thiers l’a qualifiée d’échauffourée sans importance. Il faut s’en tenir à ce jugement, et tous les efforts qui ont été faits dans ces dernières années pour l’infirmer n’en diminueront pas l’autorité. Rien de fort et de viable ne pouvait sortir de cette entreprise pseudo-républicaine. Tout la condamnait d’avance au plus rapide avortement : son origine équivoque, la fragilité de sa base et la pauvreté de ses moyens, enfin et surtout le prodigieux ascendant de l’homme contre lequel elle était dirigée.

Ces diverses causes de faiblesse, la dernière surtout, jointes aux difficultés mêmes de l’exécution, devaient nécessairement paralyser Malet. On l’a si bien compris qu’il a fallu qu’on les négligeât complètement pour pouvoir soutenir que « sans l’accident de la place Vendôme, qui mit si brusquement fin au mouvement, l’empire se serait effondré tout seul. » Non, l’empire ne se serait pas effondré, non, « la république n’eût pas repris tranquillement possession du pays, » si la conspiration avait eu, place Vendôme, le même succès qu’au ministère et à la préfecture de police. Tant qu’elle ne tenait pas l’empereur, elle ne tenait rien. Et l’eût-elle tenu, ce n’est pas, on l’a prouvé, la république qu’elle eût mise à sa place. En 1812, la France n’était pas mûre pour une nouvelle expérience républicaine. Elle commençait bien à se lasser de la guerre et elle était saturée de gloire ; mais elle avait conservé toute son horreur pour le jacobinisme. D’ailleurs l’Europe n’eût pas consenti à cette expérience ; elle eût purement et simplement rétabli, deux ans plus tôt,