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Les socialistes chrétiens-monarchiques n’espèrent point voir adopter leur programme par les parlemens actuels où domine la bourgeoisie libérale. Ils se sont donc tournés vers le roi, et ce qu’ils rêvent, c’est une royauté socialiste. En France également, Napoléon III, tout imbu des idées socialistes qu’il avait développées dans ses premiers écrits, a voulu jouer le rôle d’empereur des paysans et des ouvriers. Dans la Grèce antique « les tyrans, » c’est-à-dire les dictateurs, s’emparaient ordinairement du pouvoir en se mettant à la tête des riches contre les pauvres. C’est ainsi que César, à Rome, espérait établir le pouvoir absolu. Au moyen âge, en France, le roi était considéré comme le défenseur du peuple et des communes contre la féodalité. Aujourd’hui les socialistes-monarchiques invitent le souverain à remplir une mission semblable, mais contre la bourgeoisie financière et industrielle qui exerce les.privilèges de l’aristocratie foncière. Ils invoquent l’autorité de Lorenz von Stein, l’éminent professeur de tienne. — « Toute royauté, dit-il, ne sera plus qu’une ombre vaine et fera place à la république ou se transformera en despotisme militaire, à moins que, pénétrée de la dignité morale de son rôle, elle ne prenne l’initiative des réformes sociales. » Quel bien peut faire un souverain constitutionnel à la merci des partis qui disposent tour à tour de la majorité ? Et ces partis que sont-ils ? Des coalitions d’intérêts, des groupes de coteries, les représentans et les instrumens des égoïsmes de classes qui se servent du pouvoir pour exploiter à leur profit la législation et le budget. Seul le roi peut s’élever au-dessus de ces conflits d’ambitions et d’appétits pour représenter l’intérêt permanent de la nation, seul il peut prendre en main la cause des opprimés, parce que seul il ne retire aucun profit de leur asservissement.

Cet idéal du bon despote, assurant à chacun sa part de félicité terrestre, a un certain reflet messianique qui peut séduire, surtout quand le mécanisme parlementaire tourne à vide ou se détraque. Mais qui garantit que le despote ne sera pas un fou, un idiot ou un méchant ? Le césarisme a trop mal réussi pour qu’on y revienne, volontairement du moins. Cependant il est certain que les chrétiens-sociaux expriment bien l’idée que l’empereur Guillaume lui-même se fait de sa mission. Il a horreur du gouvernement des majorités, il accueille volontiers les plaintes des ouvriers, et, comme nous l’avons vu, il donne de l’argent pour faire des expériences socialistes. Il faut remarquer d’ailleurs que la Prusse est un terrain admirablement préparé pour l’éclosion du socialisme. Nul peuple moderne ne reproduit plus complètement le type des cités grecques où l’individu est subordonné au bien de l’état. Sous la main énergique de Frédéric II, l’état prussien est devenu une machine