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Je ne craindrai pas d’appuyer sur l’éloge : Mme Pasca représente et maintient au théâtre toute une tradition qui va de jour en jour s’effaçant, s’altérant, se perdant. Ce jeu si sûr et si large est d’une convenance, d’une modération, d’une noblesse parfaites. Ce jeu si dramatique ne parle qu’à peine aux yeux et produit tout son effet sans l’artifice des contorsions ni du cri, par la seule puissance intérieure, par l’émotion communicative de l’intelligence et du sentiment. C’est un jeu savant, qui ne livre rien à la bonne fortune de l’improvisation scénique, un jeu capable aussi, mais qui certes ne s’en passera jamais la fantaisie, d’agir violemment sur les nerfs, un jeu réglé par le goût, contenu par l’art, dominé par une volonté supérieure. Et dans l’art, dans quelque art que ce soit, je ne sache pas qu’il y ait rien au-dessus de la force qui se déploie sous la règle et de la liberté qui s’exerce dans la modération.

A côté du rôle de la comtesse Bolska, les autres rôles sont beaucoup plus que convenablement tenus. Le prince Reschnine mérite particulièrement d’être loué. Si maintenant la comtesse de Liévitz, si Tronsko, l’un et l’autre comédiens consommés, avaient un peu plus d’aisance et d’ampleur dans le jeu, si Ladislas Bolski de son côté réussissait à se débarrasser de quelques gestes nerveux, conventionnels et souvent faux, l’exécution serait presque parfaite. Mais ce ne sont là que des taches légères et qui certainement ne peuvent déparer le plaisir d’une soirée qui serait la plus agréable qu’on pût passer au théâtre, si l’Odéon depuis ne nous avait à son tour donné Samuel Brohl[1]. L’hésitation est permise.

Il me semble que, pour caractériser d’un mot l’une et l’autre pièce, on n’a qu’à rappeler le nom des collaborateurs que M. Cherbuliez a choisis pour écrire Samuel Brohl et pour mettre à la scène l’Aventure de Ladislas Bolski. De Ladislas Bolski c’était un drame qu’il s’agissait de tirer, un drame contemporain, mais traversé d’un souffle d’héroïsme, un drame vrai, réel même, si l’on tient au mot, mais d’une réalité rendue poétique par le prestige du nom polonais, de l’éloignemént des lieux, du souvenir historique : M. Cherbuliez ne pouvait s’adresser mieux qu’à M. Maquet. Il était sûr de trouver en lui le complice de toutes ses audaces, et, sans qu’il y paraisse d’abord très clairement, il y a de grandes audaces dans le drame du Vaudeville. Au contraire, c’était une comédie de mœurs, avec des parties de drame sans doute, une comédie cependant, ironique et tempérée, qu’il fallait dégager de Samuel Brohl et compagnie. Cette fois, M. Cherbuliez a fait appel à l’expérience de M. Meilhac, l’homme du monde le plus habile qu’il y ait à composer par un subtil entrecroisement de traits un personnage complexe et par des intentions de satire adroitement engagées dans le

  1. Voyez la Revue du 1er et du 15 février, du 1er et du 15 mars, du 1er avril 1877.