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Les rêves sont rentrés dans leurs lointains royaumes
Et ton foyer désert s’est peuplé de fantômes ;
L’hiver évoque en toi les spectres du passé.
Nous voici, les dragons, les vampires, les gnomes !
En vain ta porte est close ; à ton chevet glacé
L’essaim des noirs esprits dans l’ombre est amassé.
Vois du plafond qui s’ouvre une forme descendre ;
Vois ces nains s’accroupir à tes pieds, sur la cendre ;
Vois ces doigts tout sanglants écarter les rideaux.
Un râle sous ton lit vient de se faire entendre ;
Le livre que tu tiens se déchire en lambeaux,
Et le vent d’un soupir a soufflé tes flambeaux.
Les reconnais-tu bien, sous leurs formes nouvelles,
Ces folles visions que tu trouvas si belles ?
Ta main blanche a serré ces doigts courts et velus.
Les voilà, tes amours, sans que tu les rappelles.
Tu fais pour nous bannir des efforts superflus.
Le remords nous conduit ; nous ne te quittons plus.


Lugubres apparitions ! moins lugubres pourtant que le dernier tableau du poème. La neige tombe sur le cercueil qui va recevoir le corps de la malheureuse. La symphonie des saisons est finie, les voix de la nature se taisent. La neige tombe encore, elle tombe à gros flocons et enveloppe l’univers. Pas un coin de ciel bleu, pas un rayon de soleil, pas un symbole d’espoir. La neige tombe, tombe, tombe toujours. On dirait un linceul immense. Bientôt les brumes du soir s’épaississent, la nuit qui n’aura pas de fin étend partout ses voiles, et le chœur des ténèbres, entonnant un chant de victoire, roule les éternelles ombres sur les neiges éternelles. — Pascal avait dit : « Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tête et en voilà pour jamais. » Cette sombre pensée, destinée à secouer l’apathie morale de l’homme, le poète l’a traduite en maître sous une forme dramatique et puissante.

Les trois autres symphonies contiennent aussi des inspirations du premier ordre. La Symphonie des morts, étincelante de beaux vers, me semble moins précise et moins claire dans son ensemble ; mais quelle poésie saine et forte dans la Symphonie du torrent, ainsi que dans la Symphonie alpestre ! La première est un magnifique dialogue entre un poète et un pâtre, au bord d’un torrent. Le poète est sombre, inquiet, désolé ; il impute à la nature elle-même la maladie de son âme et s’imagine entendre dans toutes les voix de l’air et des eaux des cris de douleur et de désespoir. Le pâtre est simple, franc et joyeux ; son âme est saine comme son corps ; il ne connaît pas les subtils poisons de la rêverie, et, traduisant à sa manière la mélodie que lui chante le torrent, il donne