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principe des nationalités, de contraindre des populations à une annexion dont elles ne sentent nullement le besoin. Si donc les provinces grecques de la Turquie étaient satisfaites du gouvernement ottoman, les revendications de la Grèce nous sembleraient parfaitement vaines. Mais ce n’est point là le cas en Épire et en Thessalie. Depuis la conquête de la Grèce par les Turcs de Mahomet II, les Thessaliens et les Epirotes n’ont pas supporté avec moins de douleur que leurs frères du Péloponèse et des îles la domination ottomane. Au nord comme au midi, ce furent sans cesse des révoltes et des prises d’armes contre les musulmans ; ce fut la même fermeté inébranlable dans la foi chrétienne, ce fut le même espoir vivace de la reconstitution future de la patrie grecque. Quand les Grecs ne combattaient pas, ils chantaient, et ces chants de guerre que, pareils aux torches des coureurs de Lucrèce, on se passait de génération en génération, avivaient dans les cœurs la flamme ardente du patriotisme. « Nous ne sommes jamais inactifs, dit une vieille chanson, du sabre ou de la voix. » Les chants clephtiques sont l’héroïque histoire des révoltes des Grecs. Il n’a manqué qu’un Homère pour recueillir ces chants d’une nouvelle Iliade. — Au commencement de ce siècle, ce sont des Grecs de l’Épire, les Souliotes, qui ont montré à tous les Grecs comment on meurt pour la liberté. Ce furent encore les Grecs de l’Épire qui engagèrent le bon combat en 1820 et qui entraînèrent tous les Grecs à la grande prise d’armes de 1821. Zambros Tzavellas, Photos Tzavellas, le moine Samuel, qui fit sauter la citadelle de Rounghi au moment de la rendre aux Turcs et s’ensevelit sous ses ruines, Marco Botzaris, qui sauva la Grèce à Missolonghi, étaient des Épirotes. Quand les autres héros de la guerre de l’indépendance, les Péloponésiens Colocotronis et Mavromichalis, l’Hydriote Miaoulis, le Psariote Canaris, ont commencé à combattre, les fusils de Botzaris et des Épirotes avaient longtemps déjà mangé de la poudre. Les peuples du nord de la Grèce ont été les premiers à prendre les armes, les plus ardens à combattre. Ils ont travaillé plus que tous les autres peut-être à la liberté grecque, et ce sont eux qui sont restés asservis. Lorsqu’en février 1830 la conférence de Londres a fixé aux limites actuelles les frontières du nouvel état, les Épirotes n’ont-ils pas eu le droit, au nom de leurs pères, de leurs frères, de leurs fils morts sur les champs de bataille, de désespérer de la justice de l’Europe ? Marco Botzaris repose en terre grecque, à Missolonghi ; mais la montagne où il est né, où tant de son sang a coulé, est encore au pouvoir des Turcs.

Depuis le jour où les Epirotes et les Thessaliens ont dû déposer les armes et rentrer de par l’ordre des puissances sous la domination ottomane, ils n’ont jamais perdu l’espoir d’être réunis à