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« Ce n’est pas à porter la faim et la misère chez les étrangers qu’un héros attache la gloire, mais à les souffrir pour l’état ; ce n’est pas à donner la mort, mais à la braver. » Comme eux encore, il reste élégant dans son austérité et garde en horreur le pédantisme et la morgue. Comme eux enfin, il est homme et passionné. Tout jeune et dans le corps d’armée qui couvre sur la Chiers les communications des troupes assiégeant Kehl, il est pris d’angoisse à la nouvelle d’une grave maladie de son père. Malgré la guerre, malgré les opérations en cours, il fait une démarche inouïe près de son colonel : il lui demande la permission de quitter le régiment pour quelques jours. Il fait le voyage à franc étrier avec une rapidité fiévreuse, passe quelques heures auprès du malade et revient aussi vite, mais plus calme. Et ce trait de caractère, il le conte en taciturne par quatre lignes dans le journal de sa vie, semblable à un livre de bord. Ce soldat n’a pas seulement le courage de la bataille, où l’ivresse de la fumée, des cris et de la gloire entre pour la plus grande part, il est doué de la bravoure qui consiste à affronter une mort laide et dépouillée de tout appareil glorieux. Le cœur chez lui résonne, sitôt qu’on le touche. Quand La Fare a la petite vérole et que tout le monde fuit devant l’horreur de la maladie, Montcalm s’enferme avec son ami et le soigne comme un fils.

Avec tous ces traits, c’était un personnage fait pour ne pas rester en chemin. Il ne lui avait manqué jusque-là qu’une occasion. Elle naissait tout à coup avec la guerre de sept ans. Depuis deux ans, les hostilités avaient commencé au Canada. Une question de limitation de la vallée de l’Ohio avait mis le feu aux poudres. Le baron de Dieskau, commandant en chef de l’armée française, avait été pris après une défaite complète. La situation de la colonie était critique : « Elle exigeait, dit M. Doreil, commissaire des guerres au Canada, de puissans et prompts secours. » Il fallait, suivant l’expression de Doreil, « un commandant d’un esprit liant et d’un caractère doux, mais ferme, incorruptible, capable de gouverner le gouverneur lui-même. » Le marquis d’Argenson se souvenait de Montcalm, il lui confiait la mission de défendre la Nouvelle-France.

Le Canada, au XVIIIe siècle, était loin d’offrir l’aspect qu’il a aujourd’hui. Cette contrée, qui s’étendait du 60e degré de latitude nord jusqu’aux monts Alleghanys, en s’infléchissant vers la baie d’Hudson pour se prolonger vers les limites de ce qui est de nos jours le Far-West, se reliant ainsi à la Louisiane, alors en notre pouvoir, était relativement peu peuplée. Les villes étaient, comme Louisbourg, bâties dans des îles ou sur les rives du Saint-Laurent,