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ses massacres, ses représailles terribles. Le Canadien était passé maître dans cette guerre d’escarmouche. La fatigue n’avait pas de prise sur sa robuste organisation ; admirable tireur, son courage n’avait d’égal que sa haine pour l’Anglais ; mais il était rebelle à la discipline, et le goût d’indépendance empêchait ce partisan de devenir un soldat. C’est cette ardeur d’initiative, véritable fond du tempérament canadien, que l’administration de la colonie semblait avoir pris à tâche de contrarier sans cesse. L’instinct de liberté qui portait le Canadien à bâtir sa maison à l’écart de toute habitation humaine le rejetait vers la chasse et le troc des fourrures, dans une sorte de vagabondage altier et poétique. Ces tempéramens aventureux, dans la solitude des grands bois, ne sentaient plus le poids des institutions vicieuses qui régissaient la Nouvelle-France.

C’étaient en effet celles-ci qui rendaient la situation du Canada peu prospère et qui faisaient que la population n’atteignait qu’au chiffre de 82,000 habitans. Le régime de la colonie était celui d’une centralisation à outrance. L’administration dérivait du roi. Un conseil souverain siégeant à Québec, composé du gouverneur, de l’évêque, de l’intendant et de plusieurs conseillers, avait la haute direction des finances, du commerce, le jugement des causes civiles et criminelles et la prérogative d’enregistrer les édits et ordonnances du pouvoir royal. C’était donc un véritable parlement. Le gouverneur avait le commandement des forces militaires et la direction des affaires extérieures, avec un pouvoir absolu. L’administration proprement dite relevait de l’intendant ; il présidait aux services des finances, de la police, de la marine, du commerce, des approvisionnemens. Comme dans la mère patrie, la propriété était soumise au régime féodal. Le roi octroyait des seigneuries selon son bon plaisir.

Un singulier principe économique régissait les colonies : on les considérait comme des marchés ouverts seulement à la métropole et comme les débouchés obligés de celle-ci. Tout échange avec l’étranger demeurait donc absolument interdit. On ne pouvait lutter contre la concurrence faite à nos comptoirs par la Nouvelle-Angleterre où le commerce était libre, où les transports coûtaient peu, où l’industrie locale fabriquait à bon compte. Elle introduisait en fraude sur le sol canadien la plus grande partie des marchandises vendues aux Indiens et aux colons. Une autre cause de ruine pour la Nouvelle-France, c’était le droit exorbitant accordé aux fonctionnaires de tout grade de faire le commerce des vivres et objets nécessaires aux habitans et à l’armée ; c’était la source d’abus sans nombre dans l’administration, qui s’était peu à peu gangrenée du haut en bas et qui n’était plus composée que d’effrontés coquins et de pillards, dont le chef, l’intendant Bigot, résumait à lui seul tous les