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mais tête un peu faible, se sentait gagné par la contagion de l’angoisse. Lui aussi, du haut du rempart, regardait vers la Nouvelle-York, cherchant à apercevoir les habits rouges de la vieille Angleterre ; mais les bois restaient déserts et muets. Cet abandon, ce silence glaçait le vieux soldat, qui voyait arriver avec amertume l’heure de la capitulation. Montcalm, avec son instinct, avait deviné le découragement du malheureux Munrow ; un hasard lui donnait le moyen de l’augmenter encore. Les sauvages s’emparaient d’un messager de Webb à Munrow : il était porteur d’une lettre dont la lecture arracha un mouvement de joie à Montcalm ; il l’envoya immédiatement à Munrow. Lorsque l’infortuné commandant vit ce papier tout froissé, qui lui parvenait comme par une dérision du sort, et qu’il eut pris connaissance de ces mots : « Le général Webb vous informe que, vu l’état des affaires au fort Lydius, il ne croit pas prudent de tenter de se joindre à vous et de vous envoyer aucun secours. Le général juge à propos de vous donner cette connaissance afin que soyez à même de faire les meilleures conditions qu’il serait en votre pouvoir, » — il sentit s’appesantir sur lui rabattement de la défaite. Il était perdu, puisqu’il était isolé. Sauver l’honneur par une prolongation de la résistance, c’était là tout ce qui lui restait à accomplir. Il ne doutait plus du sort qui l’attendait, et, avec le découragement du vaincu, se réservait de juger le moment où la capitulation pourrait se faire sans trop de honte.

Montcalm laissait l’ennemi sous cette impression démoralisante et poussait davantage les travaux. On continuait les approches avec ardeur. La nuit du 8 au 9, on ouvrait la seconde parallèle sur la crête du coteau et on commençait à établir les batteries de brèche, lorsque le 9, au matin, on entendit le tambour du fort battre la chamade et l’on vit sur les remparts déchiquetés par les boulets apparaître le drapeau blanc. Un officier anglais se présentait aussitôt pour traiter avec Montcalm des clauses de la reddition. Montcalm, vu la disette qui tourmentait déjà la colonie, ne demandait pas que la garnison se constituât prisonnière de guerre. Il lui accorda la libre sortie et la faculté de gagner le fort Lydius, situé à deux jours de marche. Les troupes de la Grande-Bretagne obtenaient les honneurs de la guerre, à la condition de ne pas servir pendant dix-huit mois contre la France. Munrow, qui ne s’attendait pas à une capitulation aussi honorable, signait le protocole avec un mélange de joie et d’amertume.

Cependant Montcalm se préoccupait de l’attitude des sauvages. Respecteraient-ils le traité ? Il convoquait les principaux chefs. Il faisait si bien que tous juraient par les sermens les plus solennels de maintenir la jeunesse dans le devoir. Au moment de l’occupation du fort par les troupes françaises, il y avait bien quelques actes