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désespéré, il enviait les ailes des mouettes qui, lasses parfois de leurs ondulations capricieuses sur les eaux, allaient se reposer sur les rochers, à côté des sentinelles françaises.

L’état-major anglais commençait à prendre peur. Bourlamaque avait arrêté net l’invasion sur le lac Champlain. Le fort de Niagara, par sa vigoureuse défense, avait paralysé l’effort des Anglais sur l’Ontario. Le vide se faisait donc autour de l’armée de Wolf. L’état-major opinait pour la prudence et n’accordait aux objurgations fiévreuses de Wolf que la faculté de jeter quatre ou cinq mille hommes au-dessus de la ville pour forcer le général français à accepter le combat en rase campagne. Et encore on ne lui donnait, vu la saison des glaces qui s’avançait, qu’un délai très bref pour mener à bien cette entreprise dangereuse. Il ne savait que faire. Il entendait les murmures des marins, des soldats. Il sentait la nécessité impérieuse d’en finir avec cette situation qui pouvait devenir fatale par sa seule durée, et sans cesse il se heurtait à l’impassibilité de son adversaire, qui n’avait pas fait une faute.

Wolf s’arrêtait cependant, sacrifiant le tout pour le tout, à un plan audacieux, presque téméraire. Il avait reconnu à deux kilomètres en amont de la ville une petite baie, appelée l’anse au Foulon ; on pouvait à la rigueur y débarquer et gagner le sommet de la falaise par une pente où les eaux, à force de raviner, avaient dessiné un semblant de sentier. Un blockhaus, à la crête, gardait le chemin. On pouvait le surprendre. La difficulté du passage était une chance de plus.

Wolf donna l’ordre à la flotte de remonter et de redescendre à chaque marée le fleuve, en s’arrêtant sans cesse comme pour tenter le débarquement. Montcalm s’inquiétait de ces mouvemens continuels et détachait Bougainville avec onze cents hommes d’élite pour suivre de près les manœuvres de l’ennemi. L’aide de camp de Montcalm avait beau tripler les marches et forcer le pas ; dans cette lutte de la machine contre les forces humaines, la machine avait la victoire. Les troupes de Bougainville voyaient à chaque instant disparaître dans les lointains brumeux les voiles des navires anglais que les courans et les vents portaient au gré de leurs pilotes. Le 12 septembre au soir, Bougainville, devancé par la flotte, l’avait perdue de vue. La lassitude des soldats obligeait à bivouaquer où l’on était, à quatre lieues en avant de Québec ; on allumait les feux. Ces lueurs, qui voltigeaient au-dessus des rochers, montraient à Wolf l’éloignement du corps d’observation et l’encourageaient à tenter l’attaque suprême.

Au même moment, deux déserteurs apprenaient au général anglais qu’un convoi de vivres, destiné au camp de Beauport, devait ce soir même descendre le fleuve et que l’ordre avait été donné aux