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connaître les causes générales de la crise, a montré que celle-ci ne peut pas être attribuée à une insuffisance prétendue du tarif, et l’enquête de la chambre des députés a dû prouver à la commission législative que, pour la plupart des industries, ce n’est point à coups de surtaxes que l’on aura raison du présent malaise. Comment d’ailleurs mettre d’accord les intérêts qui ont comparu devant la commission, les uns sollicitant des augmentations de droits, les autres des réductions, ceux-ci plaidant contre les importations étrangères, ceux-là pour leurs exportations ; tous, en un mot, prenant pour point de départ leur profit particulier ? Tâche impossible. Sur ce terrain si difficile, le conflit éclate à chaque pas : ce qui fait la fortune de l’un fait la ruine de l’autre ; on ne saurait créer ou fortifier un privilège sans causer en même temps un préjudice. Quel est le législateur qui oserait aujourd’hui s’attribuer un tel arbitrage ? La liberté seule, nous le répétons, est capable de régler tous ces différends, et s’il n’est pas encore permis d’y atteindre, si l’on juge prudent de tenir compte de la crise actuelle et de réserver pour un temps plus opportun le progrès de la réforme douanière, au moins convient-il de ne pas reculer d’un pas dans la route qui a été tracée. En adoptant pour règle absolue de n’admettre dans le nouveau tarif aucune augmentation des droits inscrits depuis 1860 dans les tarifs conventionnels, le gouvernement et la chambre rendraient plus simple et plus rapide le débat qui va s’ouvrir. Peut-être, au fond, les protectionnistes, qui ont fait tant de bruit dans la commission d’enquête, ne souhaitent-ils pas autre chose que le maintien du régime actuel, et n’ont-ils protesté si énergiquement que dans la crainte de voir abaisser les taxes qui leur profitent ; de leur côté, les partisans du libre-échange, confians dans l’excellence du principe, se résigneraient à l’ajournement des franchises complètes que l’avenir leur promet.

Il n’y a pas, croyons-nous, d’autre tactique à conseiller pour l’heure présente. Un tarif modéré est nécessaire pour faciliter le renouvellement des traités de commerce. Il importe à tous égards que nos relations d’échanges avec les pays étrangers ne demeurent point dans les conditions provisoires et précaires qui viennent de leur être faites par l’expiration ou par la dénonciation des anciens traités. Considérée à ce point de vue, la question n’est plus seulement de l’ordre économique ; elle engage au plus haut degré la politique générale. Plier sous la pression d’idées rétrogrades, exposer la France à l’isolement, ce serait, au temps où nous sommes, une politique étrange, aussi contraire à l’honneur du gouvernement qu’aux intérêts du pays.


C. LAVOLLEE.