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au-dessous de zéro sans aucun changement apparent. Venait-on à donner à la fiole une brusque agitation ou à jeter dans son intérieur une parcelle de glace déjà formée, un mouvement soudain se produisait, et des cristaux de glace remplissaient tout à coup l’appareil. Dans cette expérience, il y avait un retard de solidification, une persistance anormale de l’état liquide ; c’était un phénomène inexpliqué, c’était comme une deuxième espèce de fusion de l’eau à des températures où généralement elle est solide. On donna un nom à cette singulière exception, on l’appela surfusion.

En vue d’expliquer un fait si peu attendu, beaucoup de physiciens répétèrent en la variant l’expérience de Blagden. Avant de refroidir l’eau, Gay-Lussac imagina de la couvrir d’une couche d’huile pour la préserver du contact et des agitations de l’air ; cette précaution lui permit de la conserver liquide jusqu’à 14 degrés au-dessous de zéro. Il ne put aller au-delà, car alors les moindres agi-talions, les plus faibles trépidations du sol, le contact d’un solide ou de la plus mince poussière, quelquefois même des circonstances inaperçues, produisaient une soudaine et presque complète solidification de l’eau. Despretz réussit à reculer encore là limité où s’était arrêté Gay-Lussac. En enfermant de l’eau dans des tubes thermométriques, il la pouvait maintenir liquide jusqu’à — 20 degrés, après quoi elle se congelait tout à coup et cassait le tube parce qu’elle augmente de volume au moment qu’elle se gèle. Aujourd’hui c’est une expérience classique : on la fait avec de petits vases de verre disposés exprès, vides d’air, avec un thermomètre au centre et contenant de l’eau bien pure. On peut la refroidir jusqu’à 14 à 15 degrés au-dessous de zéro ; on peut retourner le vase, faire couler le liquide ; mais on ne peut lui imprimer un choc brusque sans le solidifier.

On remarquera qu’il faut des précautions pour obtenir ce retard, et qu’il est d’autant plus grand qu’on en prend davantage, mais que la solidification finit toujours par arriver. Elle ne se fait pas comme dans le premier mode, elle n’est pas lente, elle est brusque, et tout aussitôt la température, qui était très basse, remonte à zéro. Tout cela s’explique aisément : dans le premier mode, en effet, le kilogramme d’eau dont nous avons précédemment parlé a cédé progressivement 10 calories en 10 minutes ; elles ont été progressivement perdues par 125 grammes d’eau liquide, lesquels, dépouillés de toute leur chaleur latente, ont été progressivement congelés sans changer de température. L’échange s’est fait entre ces 125 grammes et le mélange réfrigérant ; le reste de l’eau n’y a pris aucune part. Dans le deuxième mode, la perte est la même, mais elle se répartit sur la masse entière, qui arrive à — 10 degrés.