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DODONE

Dodone et ses ruines, par Constantin Carapanos, 1 volume de texte in-4o  et 1 volume de planches ; Paris, 1878, Hachette.

Quand on passe de Thessalie en Épire, la route naturelle, — celle que suivirent dans le sens opposé Jules César et, à sa suite, Pompée avant de se combattre à Pharsale, et, bien des siècles avant eux, les antiques populations qui se répandirent dans les plaines thessaliennes, — est assurément une des plus belles qu’on puisse voir ; mais elle est surtout remarquable par un contraste. On vient de remonter les sources du Pénée à travers des chênes et des platanes, des forêts de hêtres et de pins, et les derniers détours du chemin ont fait apercevoir encore, au-dessus des rochers qui renferment les curieux monastères des Météores[1], la riche vallée de ce beau fleuve jusqu’aux cimes majestueuses de l’Ossa et de l’Olympe qui marquent la place de Tempé : on franchit le col de Mezzovo, et tout change de face. Ce sont des pentes rapides, âpres, nues ; c’est une nature tourmentée et dure, qui ne s’ouvre et ne s’épanouit librement nulle part ; le lac lui-même, qui longe la montagne et sur lequel la ville turque de Janina présente en face ses minarets, tempère à peine le caractère de sévérité qui domine de ce côté de la chaîne du Pinde. Telle paraît aujourd’hui la région qu’occupait l’antique Thesprotie, centre des religions les plus augustes et les plus sombres qui aient présidé à la naissance de la Grèce.

C’est là, comme au milieu des hautes montagnes de l’Arcadie, que s’étaient localisées les légendes infernales. On y montrait le marais achérusien, les fleuves de l’Achéron et du Cocyte, un Aornos (sous la forme latine Averne), où Orphée était venu évoquer les morts. D’après une tradition, c’était la femme du roi des Thesprotes que Pirithoüs avait voulu enlever avec l’aide de Thésée, et telle était l’origine des poèmes sur la descente aux enfers des deux héros et sur leur tentative contre Proserpine. On croyait enfin que le poète de l’Odyssée avait emprunté à la Thesprotie les élémens de sa description des enfers. Dans l’état actuel du pays, un point surtout semble avoir conservé l’impres-

  1. Voyez, dans la Revue du 15 novembre 1877, l’intéressante description de M. E.-M. de Vogüé.