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DODONE.

dans ce qu’elle avait de plus profond, et de plus essentiel : là étaient le fondement et la consécration des lois sociales, la règle et le soutien des âmes ; là se renouait par les rites et par les croyances, entre les habitans de la terre et ceux qu’elle avait reçus dans son sein, la chaîne de la destinée humaine brisée par la mort. Quand MM. Conze et Hauser, reprenant dans l’île de Samothrace des travaux entrepris par MM. Deville et Coquart, ont trouvé dans un temple de l’époque macédonienne une excavation pratiquée auprès d’un autel intérieur pour recevoir les libations et le sang des victimes, avec quel intérêt n’a-t-on pas reconnu la persistance de l’ancienne croyance homérique, telle qu’elle apparaît dans l’Évocation de l’Odyssée ! Ulysse, invoquant les divinités infernales et la noble foule des morts, verse des libations et le sang chaud des moutons noirs dans la fosse qu’il vient de creuser avec son épée : aussitôt les fantômes accourent et se précipitent, avides de boire, et de retrouver ainsi pour quelques instans le sentiment et la connaissance. Tirésias lui-même, le devin privilégié, boit avant de prédire au héros la suite de ses aventures. De même les offrandes versées dans l’excavation demi-circulaire qu’avait ménagée près de l’autel des sacrifices l’architecte du temple dorique de Samothrace allaient jusque dans l’intérieur de la terre éveiller la bienveillance des puissances infernales, auxquelles la foi attribuait une action directe sur la destinée humaine. Dans cette île comme ailleurs, certaines conditions physiques avaient déterminé le culte local, et les divinités auxquelles s’adressaient les sacrifices étaient sans doute surtout les dieux Cabires, sortes de génies volcaniques, qui présidaient au feu souterrain et à la génération, qu’on honorait par des cérémonies mystérieuses et dont le pouvoir s’exerçait particulièrement sur la mer et sur les marins ; mais la pensée première, si vivement exprimée dans la peinture homérique, formait le fond invariable de ces rites religieux.

À Delphes, les recherches, si fructueuses à d’autres points de vue, de MM. Foucart et Wescher n’ont rien mis au jour qui se rapporte à cet ordre d’idées ; mais à Délos M. Lebègue a déblayé l’ancien sanctuaire prophétique. On sait aujourd’hui où il était, quels étaient l’aspect et le caractère du monument. Ce grossier appareil, formé de dix grandes dalles à peine taillées et ajustées deux à deux à l’entrée d’une fissure de la montagne du Cynthe, qu’on appelle communément dans le pays, à cause de sa forme, la Porte de pierre, c’était la toiture du vieux temple. Les deux parvis du rocher lui servaient de murs latéraux. Il était fermé au fond par le rétrécissement du ravin et en avant par deux petits murs de construction cyclopéenne, au point de jonction desquels était pratiquée une porte pour laisser entrer le jour dans cette espèce de caverne. Était-ce bien un temple ? Ne serait-ce pas tout simplement quelque ancienne étable qu’une illusion d’archéologue transforme en sanctuaire ? Non ; car voici vers le fond, dans l’axe de la