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invasion de la mer. Il est bien difficile cependant d’admettre que l’histoire n’ait rien transmis d’un événement si extraordinaire, et qu’une pareille catastrophe n’ait laissé aucun souvenir dans les traditions locales ; il est certain d’autre part que, si la ville avait disparu brusquement à la suite de quelque bouleversement géologique, les fouilles auraient amené comme à Pompéi, comme à Herculanum, la découverte de ruines caractéristiques, et que dans tous ces débris agglomérés on aurait retrouvé un nombre beaucoup plus considérable d’objets d’art et surtout d’objets usuels entiers ou mutilés. Il est donc plus que probable que Tauroentum a été lentement abandonnée, et que plusieurs générations en ont emporté peu à peu tout ce qui était précieux ou même simplement d’une utilité immédiate.

Mais, s’il est impossible de trouver, soit dans les documens historiques, soit dans les traditions, des élémens suffisans pour préciser la cause de la destruction de Tauroentum, on peut dans une certaine mesure indiquer approximativement l’époque de sa ruine. Tout d’abord, les textes anciens et notamment l’itinéraire maritime constatent son existence au second siècle de notre ère, et on sait qu’elle prospérait encore au troisième. La série des monnaies découvertes dans les ruines permet de prolonger son existence de quelques siècles encore. Depuis les premières fouilles exécutées en 1755, on a trouvé un nombre très considérable de médailles postérieures au règne d’Alexandre Sévère ; les plus nombreuses sont frappées à l’effigie de Probus, de Maximilien Hercule, de Constantin le Grand et de Valentinien Ier, qui régnait en 375. Tauroentum était donc habitée à la fin du IVe siècle. A partir de cette époque, la série numismatique est brusquement interrompue ; mais la ville n’avait pas pour cela cessé d’exister. Les plus anciennes chroniques et les traditions les plus autorisées de la Provence rappellent toutes que, pendant l’agonie de l’empire romain, elle fut tour à tour occupée et saccagée par les Goths, les Bourguignons, les Francs, les Visigoths et les Lombards, et cette succession d’invasions barbares explique d’une manière assez plausible la lacune dans les monumens monétaires.

Il résulte d’ailleurs très nettement d’un texte de saint Etienne de Byzance, qui écrivait au Ve siècle, et des commentaires de cet historien, écrits un siècle plus tard par le Grec Hermolaüs de Constantinople, que la colonie gréco-romaine existait encore à cette époque. Mais il y a plus : on y a trouvé récemment des monnaies de Théodose le Grand et quelques médailles byzantines à l’effigie du Christ, à tête radiée, tenant de la main gauche l’Évangile ou le livre des Prophéties, avec une légende composée de lettres grecques et gothiques portant ces mots : « Jesus Chrisius rex regnantium,