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Jésus-Christ, roi de ceux qui règnent. » Le revers est encore plus caractéristique et reproduit une croix grecque placée entre deux têtes coiffées de la tiare surmontée d’une croix ordinaire. Cette disposition ne se retrouve que sur les monnaies grecques à partir du règne de Phocas, qui mourut en 610, et il est d’ailleurs universellement admis par les numismates que l’effigie du Christ, dans l’attitude qui vient d’être décrite, n’apparaît que sur les monnaies frappées en Orient sous le règne des empereurs dj la dynastie d’Héraclius, c’est-à-dire vers le commencement du VIIIe siècle.

Nous sommes donc fondé à prolonger l’existence de Tauroentum jusqu’à cette période obscure et tourmentée de notre histoire nationale où les Sarrasins harcelaient sans trêve les populations littorales et couvraient de ruines la moitié de la Provence et du Languedoc sans pouvoir y fonder, comme en Espagne, un empire durable. On sait que la première expédition des Maures africains sur notre territoire eut lieu en 736 ou 737 et qu’ils réussirent à s’y maintenir, sinon en maîtres reconnus, du moins à l’état de bandes errantes et armées pendant près de deux siècles. Leur domination paraît cependant avoir pris un caractère de permanence assez marqué aux environs même de Tauroentum et dans la plus grande partie du département du Var, et l’on voit encore de distance en distance, sur les sommets des collines qui dominent la côte, des tours quadrangulaires qui leur servaient de postes d’observation, véritables sémaphores, flanqués, suivant la mode orientale, de moucharabis assez grossiers et au sommet desquels ils allumaient des feux dont la clarté pendant la nuit et la fumée pendant le jour étaient pour eux un code de signaux et presque un alphabet.

Les monnaies manquent à partir de cette époque ; mais l’histoire commence à fournir quelques monumens écrits, et des chartes du Xe et du XIe siècle parlent à plusieurs reprises des ravages que les Sarrasins exercèrent sur la côte, du sac des villes, du pillage des églises et des monastères, et mentionnent notamment cette partie du territoire comme une de celles qui ont eu le plus à souffrir de ces déprédations.

D’après ces documens, c’est donc vraisemblablement dans le courant du XIe siècle que la ville gréco-romaine a disparu pour toujours, et depuis cette époque elle est restée plongée dans le silence et l’oubli le plus complet. La tradition rapporte que ses rares habitans, ne trouvant plus aucune sécurité dans leur ville, à demi ruinée par les invasions et exposée à la fois aux incursions des barbares et aux attaques incessantes de la mer, émigrèrent en masse dans l’intérieur des terres et vinrent chercher un asile sur la colline voisine, qui fut le siège, cathedra, autour duquel ils se groupèrent, et prit de là le nom de la Cadière.