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de plus qu’avant le sinistre. Cette puissance et cette richesse croissantes des états de l’ouest pourraient amener bientôt un déplacement considérable dans les pouvoirs et les influences politiques.

À cette vaillante nation, où la sève déborde comme chez un adolescent vigoureux, il ne manque peut-être que d’avoir établi l’équilibre entre ses diverses facultés. Les Américains ne raffinent pas les sentimens. Dans leur recherche constante à éviter tout ce qui peut gêner leur indépendance, on les accuse de ne pas avoir suffisamment égard à l’indépendance et à la liberté d’autrui. Comment se préoccuperaient-ils de donner à la tolérance mutuelle des égoïsmes ce parfum d’élégance et cette courtoisie d’ancienne mode qui exigent l’abdication au moins apparente du moi ?

En revanche, les femmes sont chez eux l’objet d’un véritable culte. Ils déploient quelque ostentation dans les hommages presque superstitieux qu’ils leur rendent à l’envi, comme s’ils tenaient à affirmer très haut que c’est pour elles, mais pour elles seules, que le Yankee peut consentir à adoucir les aspérités anguleuses de sa rude nature, et à faire le sacrifice de son égoïste sans-gêne. L’Américaine tient le sceptre aux États-Unis ; elle règne par la distinction et la grâce sur cette société positive, acharnée au gain. Ce qui reste de poésie au milieu de l’atmosphère un peu lourde des intérêts matériels, on ne le doit qu’à elle et à la créole française, fleur exotique chaque jour plus rare qui a repris un nouvel éclat sous le soleil de sa patrie d’adoption.

Le rôle de la femme en pays chrétien sera toujours un attrayant sujet d’étude, aussi bien pour le lecteur que pour le touriste, tandis que les récits d’Orient, si curieux à tant d’autres titres, présentent sous ce rapport une infériorité forcée et d’inévitables lacunes ; car le plus séduisant côté du tableau, la meilleure moitié des mobiles de l’existence humaine, en sont nécessairement supprimés. Devant le mur de la polygamie jalouse, ou devant les crudités écœurantes du théâtre et des danses payées, l’on s’arrête fort déçu. Dans ces contrées asiatiques, la femme n’existe pas, du moins telle que nous la comprenons et telle que la civilisation chrétienne nous l’a faite, ange de charité pour tous, gardienne du foyer de la famille, prisonnière volontaire du mariage, mais libre sur parole et respectée, enfin placée si haut que l’on s’intéresse même à ses chutes. Toute puissante pour le bien comme pour le mal, capable des immolations les plus romanesques et des plus purs enthousiasmes, unissant les lumières de l’intelligence aux grâces de l’esprit, sans préjudice des dons extérieurs de la race qu’aucune autre n’égale, elle décuple l’intensité, le charme et la valeur de la vie, dont elle relève et soutient le niveau. L’Orient peut-il avoir l’idée même la plus lointaine de ce monde supérieur d’émotions violentes ou