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reprises les possessions anglaises. On s’aperçoit vite, en lisant ces pages de son livre, que, si la curiosité scientifique, l’étonnement et même l’admiration du voyageur étaient plus particulièrement excités aux États-Unis, toutes ses sympathies sont pour le Canada. Peut-on s’en étonner d’ailleurs ? Le Français se retrouve là comme en famille. Quelle émotion plus profonde et plus douce que d’entendre les accens de la langue natale à quelques mille lieues de la patrie, et de se sentir pénétré du parfum honnête et vigoureux de la vieille France, dont ces arpens de neige restent seuls encore le dernier échantillon dans le monde ?

Puis l’hospitalité s’y exerce d’une façon princière et cordiale à la fois. M. de Turenne est accueilli et fêté à Rideau-Hall, résidence du gouverneur, par lord et lady Dufferin, deux modèles achevés du high life britannique. Rien de plus intéressant à observer que les rapports existant entre l’aristocratie anglaise et le reste du pays, aussi bien aux colonies qu’en Angleterre. Quand les Anglais de haut vol se mêlent d’être distingués d’esprit, élégans et affables de façons, nul ne les peut surpasser. Leur bonne grâce n’a point d’insolence, et leur politesse n’égratigne pas ; la franchise et la rondeur de l’accueil enlèvent toute nuance blessante à leur bienveillance naturellement protectrice. D’autre part, on leur rend des honneurs sans obséquiosité ni envie. Chacun garde sa place et la croit bien fermement aussi honorable qu’aucune autre. Dans ces marques de leur déférence, les Anglais ne voient qu’un hommage rendu à l’emblème et à la forme acceptés d’une des supériorités nationales qui leur sont chères et utiles. Nul ne saurait dire quels sont les plus fiers et les plus dignes, ceux qu’on voit au premier rang ou ceux qui les suivent, ceux qui respectent ou ceux qui sont respectés. Les uns comme les autres semblent avant tout préoccupés de se respecter eux-mêmes dans l’observation scrupuleuse de règles convenues. Le self-respect n’est-il pas une des grandes forces de l’Angleterre ? Ces sentimens viennent de se manifester doublement avec une énergie toute spontanée. Lorsque lord et lady Dufferin, après plusieurs années d’un brillant et utile gouvernement, cédèrent la place au marquis et à la marquise de Lorne, ils reçurent à leur départ les marques de sympathie et de reconnaissance les plus flatteuses et les plus sincères. A son arrivée, la fille de la reine Victoria fut chaleureusement acclamée par le loyalisme canadien comme apportant un nouveau gage de l’union indissoluble avec la couronne d’Angleterre.

Tout un chapitre de l’ouvrage est consacré à la constitution du Canada, dont le gouvernement paraît très démocratique. Aurait-on trouvé dans ce dominion si près du pôle un utile modus vivendi