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y trouveraient d’abord une grâce d’éloquence et de bon sens qu’ils ne sont pas exposés à rencontrer tous les jours sur leur chemin ; ils y trouveraient aussi mille lumières, mille règles de conduite, l’art d’éviter les écueils et de discerner les choses possibles. Ils apprendraient par cette lecture à quel prix les gouvernemens nouveaux se fondent, quels prodiges de raison et d’habileté prévoyante sont nécessaires en certains momens pour remettre l’ordre dans une société troublée, comment la politique conservatrice est encore la seule manière de sauvegarder les garanties libérales.

À cette œuvre de vigoureuse sagesse qui a paru un moment accomplie par le gouvernement de 1830 et dont l’énergique Casimir Perier, ce premier consul civil, avait donné le signal, M. Thiers est un des plus actifs de la génération nouvelle. Il est dès le début un des premiers dans un temps où il y a le duc de Broglie, M. Molé, M. Guizot, M. Royer-Collard, Dupin, Odilon Barrot, et où, par une bizarrerie qui semble une ironie amère aujourd’hui, on disait déjà que les hommes manquaient. M. Thiers est un des premiers par la parole comme par l’action, et il était certes lui-même la preuve vivante que les hommes ne manquaient pas à l’œuvre de salutaire préservation. Lieutenant de Casimir Perier dans le parlement, ministre après lui avec le duc de Broglie, avec M. Guizot, il est toujours sur la brèche. Il y a dans ces premiers discours d’autrefois deux sentimens qui reviennent sans cesse et qui sont certes d’une frappante vérité encore aujourd’hui. Fils de la société nouvelle et ancien adversaire de la restauration, élevé au pouvoir par la révolution de 1830, il n’entendait nullement renier son origine, ses opinions, ses traditions ; mais en même temps, avec son instinct de gouvernement, il avait été un des plus prompts à comprendre qu’une révolution victorieuse qui ne sait pas se modérer et se conduire est une révolution fatalement condamnée, qu’un régime nouveau qui ne sait pas résister aux emportemens de ses partisans eux-mêmes est un régime perdu d’avance. Il le pensait et il le répétait sans hésiter, sans se laisser intimider par la violence des attaques, défiant au besoin ses adversaires, revendiquant tout haut le nom de ministre de résistance, il se déclarait le fils reconnaissant de la révolution française, le partisan résolu des changemens de 1830, et il en avait certes le droit plus que tout autre ; « mais à côté de cela, ajoutait-il, il est au fond de mon âme une conviction tout aussi profonde, tout aussi solennelle : c’est que le jour où la révolution était victorieuse, il fallait avoir le courage de l’arrêter et de résister, car je suis convaincu que toutes les révolutions n’ont péri que pour avoir été dépassées… Eh bien ! je ne veux pas de surprise, je veux que la chambre sache, ainsi que le pays, que je suis ministre du gouvernement de juillet pour résister à la révolution quand elle s’égare. Je ne saurais rem-