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la transition avec la monnaie impériale. M. Lenormant montre que les généraux avaient la faculté d’y graver leur effigie. César ne fit donc qu’user d’un privilège régulier quand il émit des pièces d’or avec son portrait ; les chefs républicains agissaient de même sans aucun scrupule, et ici encore l’empire, dans ce qu’on regarde comme une de ses innovations les plus graves, s’appuyait sur les traditions et les usages de la république. L’étude de la numismatique romaine nous apprend encore, par un côté nouveau, comment Rome usa des droits que lui donnait la conquête du monde, ce qu’elle prit pour elle, ce qu’elle laissa aux peuples soumis et dans quel esprit elle administra l’univers. Elle se garda bien d’indisposer ses nouveaux sujets par des mesures tracassières, quand elles n’étaient pas indispensables. Autant que possible, elle ne fit pas violence à leurs habitudes. Dans tout l’Orient, elle permit la circulation des drachmes grecques, auxquelles on était accoutumé. À côté de la monnaie de l’état, elle laissa subsister presque partout une monnaie provinciale et une monnaie municipale : c’était un moyen sûr et, peu dangereux de flatter la vanité des provinces et des villes, et de les attacher à la domination romaine.

Dans cette analyse rapide d’un ouvrage si riche en détails curieux qu’il ne peut guère s’analyser, je voudrais avoir donné quelque idée des services ne tout genre qu’il est appelé à rendre aux historiens. L’histoire ne peut plus avoir aujourd’hui la prétention de marcher toute seule. Il est des secours dont elle ne pourrait se passer sans courir le risque d’être inexacte ou incomplète. Quand on entreprend d’étudier l’antiquité, il faut joindre à l’examen des textes une certaine connaissance de la numismatique, aussi bien que de l’épigraphie, pour contrôler les affirmations des historiens ou suppléer à leur silence. Malheureusement la numismatique est une science difficile et que les profanes n’abordaient jusqu’ici qu’avec peine. Le livre de M. Lenormant, si clair, si méthodique, en même temps que si savant et si complet, la met à la portée de tous sans l’abaisser, il en rend l’étude non-seulement aisée, mais attrayante ; c’est le plus grand éloge qu’on puisse en faire.


G. BOISSIER.


Le directeur-gérant, C. Buloz.