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par-dessus tout. Ils ont du goût pour les images brillantes et les belles descriptions ; ils introduisent volontiers dans leurs ouvrages des discussions, des discours pathétiques, des lettres bien tournées ; et voici d’où leur vient ce caractère : c’étaient toujours des sophistes de profession, ils sortaient des écoles de rhétorique et se ressentaient de cette origine. D’où il suit qu’après avoir montré que le roman grec est né du mélange des fables d’amour avec les récits de voyages, il faut ajouter qu’il était l’œuvre des sophistes et des rhéteurs et qu’il est utile, pour achever de le connaître, d’étudier ces personnages auxquels il doit sa naissance et qui l’ont si fortement empreint de leurs qualités et de leurs défauts.


III

C’est ainsi que M. Rohde se trouve amené par son sujet à s’occuper de la sophistique grecque, c’est-à-dire de cette école importante qui a fleuri dans l’Orient pendant les derniers siècles de l’empire romain, et dont il reste tant de souvenirs. Comme elle est beaucoup plus raillée qu’elle n’est connue, il a trouvé des choses nouvelles à en dire, et le tableau qu’il nous fait d’elle est peut-être ce qu’il y a de plus original et de plus curieux dans son livre.

C’est bientôt fait d’accabler d’un mot dédaigneux tout un groupe d’écrivains qui ont été célèbres pendant plusieurs siècles. Quand on a dit que c’étaient des rhéteurs et des sophistes, c’est-à-dire des déclamateurs, des esprits faux, des faiseurs de phrases, on croit qu’on est quitte envers eux et qu’on peut se dispenser de prendre la peine de les connaître. Ce n’est pas l’opinion de M. Rohde. Il fait remarquer qu’ils ont joué un grand rôle dans les derniers combats de la religion officielle contre le christianisme, qu’après tout ils ont charmé une des sociétés les plus élégantes et les plus lettrées du monde, qu’ils ont été l’effort suprême du génie grec, la dernière forme et le dernier éclat de la civilisation antique, et il lui semble qu’au lieu de répéter sur eux quelques jugemens sommaires ou quelques banalités inutiles, il vaut mieux chercher à savoir les raisons de leur renommée et deviner, s’il est possible, le secret de leur influence.

L’origine de cette école est connue. — En Grèce comme à Rome, le goût de l’éloquence survécut à l’éloquence même. Les grands orateurs avaient si vivement ému l’opinion publique pendant les dernières luttes de la liberté qu’on continua de les lire et de les imiter quand la liberté eut disparu, c’est-à-dire lorsque les orateurs n’eurent plus de raison d’être. Les conditions étaient alors bien changées. Jusque-là on n’avait étudié l’éloquence que pour exercer