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en route. En compensation, il grossissait chaque jour son armée, recrutant partout, à Corcyre, à Métaponte, à Thurium, des archers, des gens de trait, des frondeurs et des lithoboles. Ce n’étaient plus des renforts, c’était toute une nouvelle expédition qu’il amenait en Sicile. Sa flotte, composée de soixante-treize vaisseaux quand Eurymédon l’eut rejoint, était montée par cinq mille hoplites. Elle entra enfin dans le port de Syracuse, et y entra dans le plus magnifique appareil. La consternation fut profonde chez les Syracusains. Quoi ! rien n’était donc capable d’arrêter la puissance d’Athènes ! Le Péloponèse s’armait tout entier contre l’arrogante cité, ravageait ses campagnes, fortifiait Décélie, coupait les communications entre l’Attique et l’Eubée, attirait à sa cause l’opulente Argolide, restée neutre jusqu’alors, et Athènes, loin de rappeler de Sicile ses troupes pour la défendre, faisait passer la mer à une seconde armée, à une armée presque aussi forte, presque aussi richement équipée que la première. À quels trésors sans fond puisait la république ?

Il ne faut pas juger les affaires humaines uniquement d’après leur issue, trop de circonstances extérieures peuvent influer sur le résultat. On sera évidemment, toujours porté à condamner une expédition qui n’aura pas réussi, et il eût sans aucun doute beaucoup mieux valu pour Athènes faire revenir Nicias et son armée de Sicile que d’y expédier Démosthène. Cependant le parti de la persistance étant admis, il n’est que strictement juste de reconnaître que la démocratie athénienne nous donnait en cette circonstance une leçon. Une affaire mal engagée ne se répare pas à coups de renforts ; soixante mille hommes ont péri à Saint-Domingue, parce qu’on avait fait de Saint-Domingue, suivant l’expression de Latouche-Tréville, un filtre d’hommes et d’argent. Au Mexique au contraire, nous avons failli arriver à une solution favorable, le jour où nous avons fait succéder à un corps expéditionnaire notoirement insuffisant une armée considérable, arrivant tout d’une pièce, et de force à changer, par son intervention, le cours des événemens.

À Syracuse on se croyait perdu ; dans le camp athénien on ne laissait pas, malgré l’arrivée de Démosthène, d’envisager l’avenir sous des couleurs assez sombres. Démosthène jugea nécessaire de relever les esprits par un coup d’éclat et de profiter de l’effroi qui combattait en ce moment pour Athènes. La clé de Syracuse était sur les hauteurs des Epipoles. Sans l’occupation de ces crêtes, il était impossible de songer à pousser plus loin le mur de circonvallation. Démosthène proposa d’enlever la position par une attaque de nuit. Ses troupes avaient encore toute l’ardeur d’une troupe