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où se trouve Saint-Barthélemy, qu’il leur faut venir la goûter.

Au temps heureux où sur mer le navire à voiles n’avait pas encore été remplacé par le bateau à vapeur, et sur terre la chaise de poste par le chemin de fer, le voyageur pouvait contempler à loisir l’admirable panorama des Antilles. Accoudé sur le bastingage d’un fin voilier, sans être incommodé par la trépidation d’une hélice ou la puanteur des huiles d’une machine, il jouissait pendant de longues heures des perspectives sans cesse renouvelées qui s’offraient à lui, baies sombres, falaises escarpées, pics couronnés de vapeurs bleuâtres. Après le morne, au sommet duquel s’élevait un pin solitaire, apparaissaient la forêt frémissante des cocotiers, les champs de cannes à sucre au feuillage vert-pâle, une déchirure aux flancs d’une montagne, et, dans cette déchirure, un torrent et la végétation à laquelle des eaux pures donnent la fraîcheur et la vie. Il y avait aussi ce que nous appelions, nous que rien ne hâtait, les bonnes fortunes des voyages en mer, c’est-à-dire les jours d’accalmie à quelques encablures d’une côte inconnue. — Passagers, nous disait le capitaine, — si vous aviez la chance d’avoir un capitaine poli et d’un bon naturel, — sautez dans la yole, prenez vos fusils, faites-vous descendre à terre et débarrassez-moi de votre présence jusqu’à ce que le vent revienne ! — Et l’on partait joyeux, rêvant rencontre de sauvages, de boas, de forêts vierges ou d’animaux féroces… Avec quelle volupté on déjeunait à l’ombre d’un tamarin ou d’un bananier, avec une conserve d’Europe et une bouteille d’un bon vin de France ! Vous faisait-on du bord le signal d’embarquer, vous reveniez au bateau sans chaussures, il est vrai, déchiré par les épines, brûlé du soleil, couvert jusqu’aux genoux de la vase des palétuviers, mais heureux plus qu’un roi de votre excursion, soit que vous eussiez cueilli une fleur inconnue, trouvé un insecte rare, un papillon aux ailes d’or, ou tout simplement un coquillage enfoui bien vivant dans le sable humide. Que d’heures charmantes passées à étiqueter, à classer avec amour ces richesses, sources inépuisables de souvenirs, alors qu’après vents et marées, tempêtes et naufrages, vous étiez rentré définitivement au port !

Sous les tropiques, la végétation, et surtout la végétation du littoral des Antilles, a subi une transformation aussi radicale que celle qui s’est produite en Europe à la suite de plusieurs siècles de culture. L’île Saint-Barthélemy ne doit donc rien avoir aujourd’hui de l’aspect sous lequel elle se montra aux yeux ravis de Christophe Colomb. Au lieu de la hauteur boisée qu’il dut découvrir et dont les ondulations étaient cachées par de hautes forêts, il verrait actuellement une succession de vertes collines s’étendre jusqu’à la mer, puis au pied de ces collines la coquette ville