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ses fatigues par la vue d’une belle vallée, celle de Saint-Jean, qui s’étend sous vos pieds éclatante de verdure. Pour le voyageur qui suppose que le brin d’herbe qui croît aux Antilles ne diffère pas de celui qui croît à Longchamps, le paysage n’a rien de tropical ; pas d’arbres exotiques, pas de palmiers isolés, pas de tamarins monstrueux, mais des cultures à fleur de terre, des herbages, quelque chose comme une vue sur la vallée d’Auge, avec des chevaux, des bœufs, des chèvres, des pintades et des oies en liberté ; ce qui complète l’illusion, c’est la vue de la mer à l’horizon. Que votre imagination se prête à faire sortir du sol de cette vallée quelques pommiers à cidre, et vous vous croirez aux environs de Falaise. Le site n’en est pas moins ravissant ; il plaît d’autant plus qu’on le découvre dans un encadrement de roches d’une nudité effrayante et surgissant d’une terre renommée par son aridité, Du reste, les coquettes maisons de campagne qui ont été élevées sur la hauteur au bord de la route prouvent que le lieu est fort beau, tout en témoignant du goût intelligent que les Suédois ont des beautés de la nature.

De la fraîche vallée de Saint-Jean, il faut descendre ensuite sur le bord de la mer où l’arrivée subite d’un promeneur ne manque jamais de mettre en fuite de grands vols d’échassiers, de mouettes et de pélicans gris. Ceux-ci, comme les albatros, sont tellement lourds et niais sur terre que, si vous avez un peu d’adresse et de justesse dans le coup d’œil vous pouvez en abattre quelques-uns d’un coup de pierre. Le mieux est de laisser ces pauvres oiseaux animer ces solitudes, d’autant que leur chair est exécrable. Des bords de la mer, on se dirige de nouveau vers un morne au sommet duquel une grande croix se détache sur le ciel ; elle est fixée dans de grosses roches noires et entourée de cactus gigantesques. La nuit, par un beau clair de lune, avec un peu d’exaltation dans les idées, le lieu doit avoir un caractère de sinistre poésie, D’ailleurs, il a une très mauvaise réputation ; on ne l’appelle dans la contrée que le « Coupe-gorge. » Pour rien au monde, après le coucher du soleil, vous ne feriez passer un indigène de Saint-Barthélemy en vue de la croix, des roches noires et des grands cactus. Les zambos, — fils de nègre et de femme indienne, — y venaient autrefois prendre leurs ébats ; ils s’y réunissaient pour assassiner les blancs qui avaient l’imprudence de s’y rendre isolément. Ces zambos ne sont plus à craindre aujourd’hui, mais la terreur est restée attachée à leur nom et au lieu qui leur servait de refuge.

Du haut de la colline redoutée, on distingue parfaitement plusieurs des îlots qui entourent d’une ceinture de corail et de verdure l’île de Saint-Barthélemy. Ce sont de jolis rochers, d’un accès