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manger. Si les circonstances sont favorables, ils s’emparent de ce qui est à leur convenance ; parfois la femme est seule, subit les derniers outrages ou trouve la mort en défendant son honneur et les épargnes de la famille. Si la troupe est nombreuse, elle arrête des trains ou commet du brigandage sur une grande échelle. La police ne peut rien contre les tramps, et si le juge Lynch ne réussit pas à faire justice, le crime reste impuni.

Nous aurions encore à noter des symptômes de crise dans bien d’autres pays ; mais où ils sont le plus rares ou le plus effacés, c’est en France. Nous jouissons en ce moment d’une situation vraiment privilégiée dans le monde économique. Il serait même facile de soutenir que la France n’est pas du tout atteinte des souffrances dont on se plaint partout ailleurs. Les budgets de tous les pays sont en déficit, le nôtre présente un excédant. La plus-value brute des impôts, dont il y a sans doute à déduire, dépasse même, pour les contributions indirectes seulement, la somme de 63 millions, et l’on sait que ces taxes ne sont guère payées qu’à l’occasion d’affaires ou de consommations. Le mouvement des exportations a légèrement décliné, cela est vrai (3,369 millions en 1878 contre 3,436 millions en 1877) ; mais la sortie des produits naturels a seule diminué, car on a exporté pour 1,867 millions de produits fabriqués, soit pour 53 millions de plus qu’en 1877. Si l’on consulte la cote de la rente, on relève également des indices d’une situation prospère : le 5 pour 100 oscille entre 112 et 115. Mais ces chiffres ne sont pas concluans. La hausse des valeurs publiques, par exemple, peut être l’effet d’une surabondance de capitaux provenant d’une épargne incessante et croissante, elle peut aussi avoir pour cause une certaine absence de confiance dans les affaires : pourquoi s’aventurerait-on dans des entreprises commerciales et industrielles, lorsque tant d’établissemens existans se voient contraints de réduire leurs opérations ? Ce n’est pas un bon signe que l’impôt sur le revenu des valeurs mobilières évalué au budget de 1878 à 34,972,000 n’ait produit en réalité que 34,274,000 francs. Ce n’est pas un bon signe non plus que le dividende de la Banque de France, qui était de 285 francs en 1874, soit tombé à 200 francs en 1875, à 140 francs en 1876, à 95 francs en 1877 ; cela prouve évidemment que les affaires se ralentissent[1]. D’ailleurs, dans différens centres industriels et commerciaux, les magasins sont remplis, et les fabricans ne peuvent offrir à leurs ouvriers que le choix entre la baisse des salaires et la réduction des heures de travail. — Nous allons étudier les causes de cette situation et nous rechercherons pourquoi la crise a été moins intense en France que dans la plupart des autres pays.

  1. Nous n’ignorons pas qu’on attribue cette diminution pour une certains part à la concurrence des sociétés de crédit, mais cette concurrence existe depuis des années.