Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/450

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

génération de commerçans ou d’industriels n’est guère plus longue. Dans peu de grands établissemens, la même personne resterait plus de dix ou douze ans le directeur réel, la cheville ouvrière de l’affaire. A trente ou trente-cinq ans, on devient associé actif, administrateur responsable de la totalité ou d’une division importante d’une grande entreprise ; dix ans après, les uns sont morts, d’autres ont changé de position ; d’autres encore ont fait fortune et prennent les choses plus à leur aise. Des hommes plus jeunes peuvent alors arriver, des hommes qui n’ont pas encore été mis à l’épreuve, que l’expérience n’a pas encore rendus sages et sagaces, mais qui s’en iront à leur tour après avoir accompli leur période[1].

Hâtons-nous de le dire, aucun publiciste, quelque convaincu qu’il fût du retour périodique des crises, n’a méconnu l’influence des guerres, des révolutions, des mauvaises récoltes et autres calamités de toute nature. Quand ces causes extraordinaires se présentaient, il ne fallait pas une grande pénétration pour les reconnaître : c’étaient, pour ainsi dire, des phénomènes naturels ; ce n’est qu’en l’absence de causes extérieures évidentes qu’on songe à approfondir les choses, qu’on scrute les faits d’abord négligés et que l’on en constate la signification. C’est ainsi qu’on a pu formuler la théorie de la périodicité ; seulement cette théorie ne rend suffisamment compte ni de l’extension, ni de la durée de la crise actuelle, et l’on a cherché à l’expliquer par des causes spéciales.

C’est un concours de circonstances, dit-on généralement, qui a aggravé la crise. D’abord, si l’on fait abstraction de l’effet des famines qui ont sévi dans l’Inde et en Chine, la calamité économique a eu deux foyers complètement indépendans l’un de l’autre, l’Europe et l’Amérique. En Europe même, il n’est pas sûr que la guerre franco-allemande en ait été le vrai point de départ ; mais il est certain qu’elle lui a donné son caractère définitif. Ce qui préexistait, c’est une très vive tendance à la spéculation ; si la paix avait été conservée, la crise aurait encore éclaté, mais elle eût été purement financière, tandis que la guerre l’a rendue positivement industrielle. La guerre a interrompu la production dans deux grands pays, elle a en outre causé d’énormes destructions de matières et de produits qu’il a fallu remplacer à la paix avec une grande rapidité. Aux demandes émanées des états qui avaient été directement impliqués dans les événemens des années 1870-1871 venaient se joindre les commandes des chemins de fer russes et

  1. Nous ne croyons pas devoir nous arrêter à la thèse soutenue par un économiste anglais distingué, d’après lequel la périodicité des crises doit être ramenée à celle des taches solaires. Ces taches causeraient les mauvaises récoltes, et celles-ci les crises commerciales. En fait, cette coïncidence constante entre les taches solaires et les disettes n’existe pas.