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les riches moissons des contrées du sud et de l’ouest que les villes manufacturières et commerçantes de l’est placent tout leur espoir. Nous apprenons que des sociétés se sont fondées pour aider les ouvriers surabondans à se faire cultivateurs ; l’est déverse ainsi le trop plein des populations industrielles dans les friches du Far-West. On a dit aussi que les souffrances endurées pendant cinq années de crise ont rendu moins exigeans beaucoup de ces travailleurs que le sort avait relativement favorisés jusqu’à présent et qu’ils se prêtent au déplacement. Si en outre le tarif devient plus libéral, les États-Unis verront renaître les jours de prospérité, et en même temps le bien-être général aura une base plus solide.

L’Europe n’a pas, au moins dans la même mesure, la ressource des défrichemens, et pourtant le fait que les pays du centre et de l’ouest de ce continent importent annuellement du blé doit donner à réfléchir. Nous ne méconnaissons pas les avantages de la division du travail entre les divers états, cette division leur servirait de lien, si les douanes n’existaient pas. Ce qui nous préoccupe, c’est la désertion des campagnes, c’est l’abandon de la charrue, c’est l’accroissement disproportionné des villes, en d’autres termes, c’est la formation d’une grosse tête urbaine sur un petit corps rural. Heureusement la France est l’un des pays où le mal n’est pas encore assez développé pour constituer un péril, seulement une chose est certaine : à chaque recensement nous constatons que la population urbaine s’est accrue aux dépens des habitans de la campagne. Pour ne citer que deux chiffres, en 1851 25 1/2 pour 100 des Français habitaient les villes grandes et petites ; en 1876 la proportion s’était élevée à 32 1/2 pour 100. Ce n’est pas qu’il naisse plus d’enfans dans les villes ; loin de là, la fécondité est double à la campagne, la population rurale augmente de 2 pour 100 par an, la population urbaine de 1 pour 100 seulement ; les nouveaux venus vont donc en partie renforcer l’industrie et le commerce. Tant que l’industrie n’avait pas encore pris les développemens que comportaient les nouvelles conditions de l’époque moderne, le déplacement des populations pouvait être salutaire ; mais il y a une limite, et elle est peut-être atteinte. Il n’est pas possible de présenter en ces matières des chiffres rigoureux ; c’est seulement d’après des indices ou des symptômes qu’on peut juger. Or la longue durée de la crise est un indice de disproportion entre la production et la consommation ; c’est cette prolongation de l’état languissant des affaires qui fait penser à une rupture d’équilibre qui pourrait avoir des effets permanens. Expliquons-nous : nous ne voulons pas dire que les affaires resteront languissantes, la situation s’améliorera certainement ; nous croyons seulement qu’il n’y aura plus des progrès aussi