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nature, juges compromis, tout a été emporté. Celui qui est resté, même après la défaite, le dernier représentant du 16 mai, M. le maréchal de Mac-Mahon, a quitté à son tour la scène ; il l’a quittée avec une dignité simple qui prouve que, s’il a pu se tromper, il ne gardait visiblement aucune arrière-pensée déloyale.

Tout cela est fini, effacé, presque oublié. A quoi servait désormais d’aller exhumer des archives de la commission d’enquête cette proposition de mise en accusation qui ne répondait plus à rien ? On a laissé passer près de deux ans avant de produire ce rapport qui devait être fait « le plus tôt possible, » et ce rapport lui-même, porté comme une révélation foudroyante à la tribune du parlement par M. Henri Brisson, de quoi se compose-t-il ? Que dit-il ? Il n’a certes rien de nouveau ni de bien sérieux. Il n’est que la reproduction artificiellement violente, laborieusement et systématiquement coordonnée de vieilles polémiques, de récriminations et de suppositions qui ont pu être des armes de guerre pendant le combat, qui ne peuvent entrer dans une œuvre juridique. — Oh ! sûrement, le 16 mai a dû être prémédité, savamment préparé, et peu s’en faut qu’il ne soit représenté comme ayant reçu son mot d’ordre du Vatican, que le pape et quelques évêques ne soient appelés au procès ! Il y a présomption grave qu’on a dû conspirer, comploter pour préparer ou hâter la destruction de la république ! Il y a présomption grave qu’on se disposait à un coup d’état, dont l’objet, il est vrai, n’est pas trop clairement saisi ! Il y a plus que présomption que la constitution a été violée en général et en particulier ! M. Brisson, ayant pour assesseur M. Floquet dans son œuvre d’accusation publique, a tout vu, tout pénétré ; il a fait sa récolte de petits papiers et de témoignages accusateurs dans toutes les archives, même dans celles qui n’auraient pas dû lui être ouvertes ; il a suivi partout la trace du crime — qui en définitive n’a pas été commis, puisque la constitution est restée intacte, puisque la république n’a point péri. Et c’est pour se donner le plaisir de réchauffer ces vieilles querelles, de rassembler un certain nombre de déclamations et de présomptions plus ou moins spécieuses, c’est avec de tels élémens qu’on s’est exposé à déployer devant le pays et devant l’Europe ce spectacle d’un procès fatalement condamné à rester une œuvre de vengeance politique, impliquant forcément dès le premier pas M. le maréchal de Mac-Mahon avec ses ministres, menaçant une multitude de complices plus ou moins volontaires, mettant à nu les ressorts les plus intimes de la discipline militaire, semant les divisions et l’incertitude dans l’armée ! Ce que la république y aurait gagné, il n’est pas facile de le voir ; ce que la paix intérieure et le crédit extérieur du pays y auraient perdu, on peut le soupçonner, dès ce moment, rien qu’à voir l’impression d’étonnement et d’inquiétude manifestée depuis quelques semaines en France et au dehors.