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la marine marchande, et c’est là certes une des questions les plus graves pour notre avenir maritime et commercial : la discussion est passée presque inaperçue entre deux interpellations, entre l’amnistie et la proposition de la mise en accusation du 16 mai. Tout ce qui regarde le régime économique, les tarifs de douanes, les traités abrogés ou dénoncés, est en suspens. L’autre jour la loi sur l’état-major a fait une apparition nouvelle dans les chambres, elle a été encore une fois ajournée. Et cependant le meilleur moyen de répondre aux vœux du pays, même de servir la république, ce serait à coup sûr de mettre un terme aux dissensions et aux conflits pour s’occuper de toutes ces questions, et des finances, et des travaux publics et de nos industries éprouvées, et de ce qui reste à faire pour la réorganisation de l’armée. L’œuvre est immense et peut suffire à l’activité d’un parlement ; elle est faite pour tenter tous les esprits sérieux, d’autant plus que cette réorganisation de l’armée en particulier, cette reconstitution militaire qui a été courageusement entreprise par l’assemblée de 1871, qui devrait être notre obsession, notre généreux souci, est loin d’être achevée. On ne peut pas d’un côté demander des sacrifices toujours nouveaux que la France n’a jamais refusés, qu’elle ne refuse pas, et d’un autre côté laisser tant de bonne volonté, tant d’efforts stériles. C’est un devoir rigoureux et absolu pour le gouvernement comme pour les chambres, non-seulement de voter les lois qui restent à faire, mais de veiller sans cesse à l’exécution de ces lois, de ne pas laisser dévier cette œuvre d’intérêt national. On doit au pays une armée, instrument de sa sécurité ou de sa grandeur, et un des esprits les mieux faits pour aider de ses lumières à ce patriotique travail est certes cet « officier en retraite » qui vient d’écrire des pages si vives, si saisissantes sur l’Armée française en 1879.

Du fond de cette « retraite » à laquelle il s’est volontairement et prématurément condamné, le général Trochu, ce soldat philosophe à peine déguisé sous un voile transparent, ne se désintéresse pas des destinées militaires du pays, et il écrit aujourd’hui son livre sur l’Armée française en 1879 comme il écrivait autrefois ce livre de l’Armée française en 1867 qui ne fut qu’un avertissement éloquent et inutile. Il y a plus de dix ans déjà, c’est lui-même qui le dit, il avait « pris parti pour les réalités qui déplaisent contre les illusions qui plaisent ; » et il fut battu, il en convient avec tristesse ; il fut trop cruellement justifié par les malheurs du pays. Le mérite du général Trochu avait été de voir ce que bien d’autres ne voyaient pas ou ne voulaient pas voir ; son malheur était d’avoir contre lui les légendes, l’habitude du succès, les infatuations aveugles et obstinées. A l’heure qu’il est, détaché de tout, mais gardant toujours ses croyances professionnelles, il recommence le même effort dans le même esprit, sans illusion comme sans amertume, avec l’intention de concourir à un travail de réforme morale autant que