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du prince même des ténèbres. Celui qui se sent assez de cœur pour tenter une pareille lutte doit, la veille de la fête, choisir la fougère et placer auprès de la plante la serviette dont il s’est servi au saint et salutaire jour de Pâques[1]. Avec le couteau, il faut qu’il trace un cercle autour de la fougère et autour de sa personne. Dès neuf heures, Satan lui jette des pierres, même des arbres, et autres objets fort pesans. Mais comme il ne peut entrer dans le cercle tracé par le couteau de Pâques, un chrétien orthodoxe saura attendre l’heure de minuit avec une courageuse confiance. Quand l’heure a retenti, la fleur tombe dans la serviette, et son heureux possesseur doit la plier et la cacher dans son sein. La fleur de Saint-Jean lui fera connaître le passé comme l’avenir, l’endroit où sont cachés les trésors, le lieu où sont les bœufs égarés.

Une légende de la Petite-Russie est née de ces croyances. La veille de la Saint-Jean, un paysan avait perdu ses bœufs. En les cherchant dans les bois, il passa auprès d’une fougère, à l’instant même où elle fleurissait, et la fleur tomba dans ses souliers. Non-seulement il trouva ses bêtes, mais il découvrit l’endroit où était un trésor. Revenu chez lui, il eut l’imprudence d’écouter sa femme, dont le diable se servait pour le tromper, et d’ôter ses bas humides. Il perdit, avec la fleur précieuse, le souvenir des découvertes qu’il avait faites. Dans une variante recueillie par le professeur Michel Dragomanof, qui a étudié avec tant de soin et de zèle les traditions de la Petite-Russie, Satan intervient personnellement, et il propose au naïf moujik de changer ses mauvais souliers contre les bottes du diable. Le paysan accepte cette proposition et perd ainsi toute espérance de mettre la main sur le trésor. Comme l’Ésaü biblique, il avait livré des richesses pour un plat de lentilles.

En certaines localités de la Russie, l’herbe de Saint-Jean sert simplement à éloigner les mauvais esprits des maisons et surtout des étables. Elle a cette propriété ailleurs, car Du Cange dit que, de son temps, les Picards suspendaient dans les étables et dans les habitations l’armoise cueillie la veille de la Saint-Jean. On y conservait toute l’année « l’herbe de la Saint-Jean, » à cause des nombreuses vertus qu’on lui attribuait. On ajoutait souvent, dans ces guirlandes, à l’armoise l’hypericum, d’autres plantes et des pattes de gibier. Cette guirlande, composée de sept élémens, était des plus efficaces contre les diables.

Les « herbes de la Madone » jouissent aussi du même privilège. Tel est le genévrier, qui, dans la légende toscane, a sauvé, en Égypte, la vie de la Vierge et de son fils. D’autres plantes ont reçu de celle que nous nommons la panaghia (toute-sainte) diverses

  1. Ἅγιον ϰαὶ σωτήριον πάσχα (Agion kai sôtêrion pascha) disent les Grecs.